Agroécologie

« Un défi fort autour de la massification des innovations », Mehdi Siné, directeur de l’Acta


Des jumeaux numériques aux fermes connectées, l’Acta multiplie les chantiers pour accompagner les transitions agricoles. Climat, biodiversité, numérique, santé des cultures et des élevages : les instituts techniques agricoles, fédérés par l’Acta, sont en première ligne pour répondre aux grands défis de l’agriculture. Leur stratégie repose sur l’innovation appliquée, le lien direct avec les producteurs et une ouverture renforcée aux partenariats européens et aux start-up. Mehdi Siné, directeur général de l’Acta, détaille cette feuille de route ambitieuse.

Mehdi Siné, directeur général de l’Acta - © Acta
Mehdi Siné, directeur général de l’Acta - © Acta

Quelle est la stratégie de l’Acta pour les prochaines années ?

L’Acta reste avant tout la tête de réseau des instituts techniques agricoles. Notre mission première est d’assurer la coordination interfilière de nos 19 instituts techniques qualifiés. Notre association existe depuis 1956 et notre raison d’être demeure inchangée : assurer à la fois cette coordination transversale entre les instituts et jouer un rôle de pont entre les producteurs et les politiques publiques.

L’Acta intervient notamment à travers le processus de qualification des instituts et le contrat d’objectifs que nous signons avec l’État pour des périodes de 5 à 6 ans. Les travaux des instituts techniques s’inscrivent ainsi dans une logique de réponse aux politiques publiques exprimées par le ministère de l’Agriculture, mais aussi aux besoins des agriculteurs. Comme tous les instituts techniques agricoles, nous sommes pilotés par des agriculteurs. Notre présidente, Anne-Claire Vial, est elle-même agricultrice dans la Drôme.

Notre rôle est donc un rôle d’interface : interface entre les instituts et interface entre les demandes des professionnels, les agriculteurs de l’ensemble des filières, et les attentes sociétales qui s’expriment à travers des programmes et des projets nationaux.

Nous accompagnons depuis une dizaine d’années notre réseau dans ces dynamiques européennes avec beaucoup de succès.

Nous avons aujourd’hui une feuille de route structurée autour de cinq grands défis :

  • La transition agroécologique, pour une agriculture performante et durable qui reste attentive à la préservation des ressources et valorisant les services écosystémiques.
  • Le défi du changement climatique, qui concerne à la fois l’adaptation et l’atténuation. Nous avons par exemple mobilisé tout notre réseau pour développer des méthodes liées au label bas carbone, permettant de réaliser des diagnostics et de définir des trajectoires pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et stocker davantage de carbone.
  • Le défi « One Health », où nous avons regroupé les problématiques de santé végétale, de santé animale, de santé environnementale et de bien-être animal. Les projets des filières végétales et animales sont de plus en plus interconnectés. Nous sommes d’ailleurs fortement sollicités en ce moment dans le cadre des Assises du sanitaire animal et du sanitaire végétal. Nous sommes également très impliqués dans le Parsada, le grand plan sur la protection des cultures, visant à anticiper le retrait de substances actives problématiques.
  • Le soutien à une agriculture compétitive, qui permette aux agriculteurs de vivre de leur métier et qui reste attractive. C’était d’ailleurs le thème de notre stand au Salon de l’agriculture cette année, où nous avons mis en avant les travaux des instituts sur les innovations visant loptimisation économique, la diversification et les gains de compétitivité. Nous portons par ailleurs de plus en plus de projets transversaux intégrant des méthodes d’évaluation de la multiperformance. C’est-à-dire la performance agronomique, technique, mais aussi économique et environnementale des innovations.
  • La transition numérique des exploitations, qui agit comme un levier au service des autres défis. L’Acta pilote de nombreux projets sur ce sujet. Par exemple, nous animons le réseau des Digifermes, qui regroupe des fermes expérimentales d’instituts, aussi bien en production végétale qu’animale, spécialisées dans les innovations digitales accessibles aux agriculteurs (robotique, intelligence artificielle, capteurs…).

Notre stratégie inclut enfin la dimension européenne pour soutenir nos projets de recherche appliquée. Nous accompagnons depuis une dizaine d’années notre réseau dans ces dynamiques européennes avec beaucoup de succès et des partenariats avec les plus grands organismes d’Europe et nous n’avons pas l’intention de réduire la voilure.

Quels sont les thèmes ou projets prioritaires ?

Concernant le changement climatique, notre priorité pour l’année 2025 sera d’ouvrir de nouveaux chantiers moins explorés comme le thème de l’eau et de la résilience des exploitations agricoles aux aléas. C’est une thématique relativement nouvelle dans notre approche interinstituts. Certains instituts y travaillent depuis longtemps, mais collectivement, nous avons encore peu avancé sur ce sujet. La question de la ressource en eau, c’est-à-dire sa disponibilité dans un contexte où les aléas climatiques deviennent de plus en plus marqués (alternance d’années très sèches puis très humides), engendre des impacts très significatifs sur les filières. Nous développons donc des partenariats avec les acteurs de la recherche et du développement, et sommes particulièrement investis dans notre collaboration avec l’Inrae et les chambres d’agriculture sur ce thème.

L’IA est présente depuis longtemps dans nos expérimentations. Mais nous commençons seulement à explorer les nouveaux outils, notamment l’IA générative.

Un autre enjeu est celui de l’intelligence artificielle. Depuis deux ans, l’Acta et les instituts ont beaucoup investi collectivement sur ce thème. L’IA est présente depuis longtemps dans nos expérimentations, que ce soit pour l’acquisition de références ou pour le transfert. Mais nous commençons seulement à explorer les nouveaux outils, notamment l’IA générative. Nous avons mis en place des formations pour faire monter en compétence les collaborateurs du réseau et avons engagé quelques prototypes. L’an dernier, nous avons lancé avec l’Inrae le projet Twin Farms, qui repose sur le concept de jumeau numérique. Il s’agit d’un outil de simulation à l’échelle d’une ferme, permettant d’évaluer différents scénarios - réglementaires, environnementaux, climatiques ou encore de réduction des produits phytosanitaires - à partir de fermes virtuelles.

Nous nous sommes aussi beaucoup investis depuis un an sur les enjeux liés à l’agrivoltaïsme. C’est un sujet qui doit être abordé de manière collective, car il intéresse à la fois les filières animales et végétales. Il s’agit ici encore de partager les compétences et de mutualiser les ressources en développant des partenariats avec les acteurs du terrain.

Le Parsada est un dispositif unique et extrêmement ambitieux

Nous allons également déposer un projet interinstituts sur l’élevage, intitulé Ambition Élevage 2040. Ce projet vise à explorer des scénarios alimentaires tendanciels et à s’appuyer sur des diagnostics filières pour orienter la R&D en vue de maintenir une souveraineté alimentaire à 10, 20 ou 30 ans, dans nos territoires.

Pour les filières végétales, nous sommes fortement investis dans le Parsada qui est un dispositif unique et extrêmement ambitieux et qui s’inscrit dans une temporalité de moyen terme, en explorant des technologies innovantes qui nécessitent d’être testées et expérimentées sur des horizons de 3 à 5 ans avant d’être déployées.

Quels sont, selon vous, les défis des instituts techniques ?

Les instituts techniques agricoles doivent rester concentrés sur leur raison d’être : apporter des solutions aux agriculteurs face aux problèmes qu’ils rencontrent. Nous faisons face à un renouvellement important des générations, à tous les niveaux - y compris parmi les responsables professionnels et les acteurs politiques.

Nous devons maintenir notre capacité d’écoute des producteurs, comprendre leurs attentes qui évoluent, et répondre à des acteurs (agriculteurs, élus) qui ne nous connaissent pas toujours. C’est un défi collectif : préserver ce lien avec le terrain.

Nous disposons d’un modèle de recherche appliquée unique au monde, celui d’un acteur intermédiaire dans la chaîne de l’innovation faisant le pont entre la recherche amont et le secteur économique. Ce modèle a permis de construire des agricultures performantes et diversifiées, souvent enviées à l’international. Il faut le préserver.

Intégrer davantage les agriculteurs dans les expérimentations, les associer aux processus d’innovation, aux projets de recherche.

Cela suppose de continuer à faire vivre nos méthodes d’expérimentation, tout en faisant évoluer nos pratiques : intégrer davantage les agriculteurs dans les expérimentations, les associer aux processus d’innovation, aux projets de recherche. Cela nous permettra d’avoir plus d’impact.

Cela implique aussi de mobiliser davantage les sciences humaines et sociales, pour mieux comprendre comment faire émerger les innovations de demain, et surtout comment elles sont appropriées sur le terrain.

Il y a un défi fort autour de la massification des innovations, qui rejoint celui que rencontrent aussi les chambres d’agriculture. Nous devons renforcer les partenariats avec elles, mais aussi avec la coopération, le négoce et l’ensemble des acteurs du conseil et du développement. Il faut porter les innovations jusque dans les fermes, de façon plus rapide et plus large. Nous ne pouvons pas relever ce défi seuls. C’est pourquoi nous avons noué cette année un partenariat avec La Ferme Digitale, afin de travailler, co-construire et co-développer des innovations avec les start-up de l’AgTech, qui représentent de nouveaux relais d’innovation.

Concepts clés et définitions : #Chambres d’agriculture , #Changement climatique , #Négoce , #Produits phytosanitaires