Agroécologie

Légumineuses : « Le projet Belis vise à résoudre le frein lié à l’amélioration génétique » (Julier, Inrae)


Peu investies par la recherche, les légumineuses souffrent d’un retard génétique qui freine leur développement en Europe. Le projet européen Belis, coordonné par l’Inrae, veut combler ce manque en dotant les sélectionneurs d’outils innovants et compétitifs pour créer plus rapidement de nouvelles variétés, tout en améliorant l’environnement économique et réglementaire de la filière.

Légumineuses : « Le projet Belis vise à résoudre le frein lié à l’amélioration génétique » (Julier, Inrae)
Légumineuses : « Le projet Belis vise à résoudre le frein lié à l’amélioration génétique » (Julier, Inrae)

« De nombreux freins existent au développement des légumineuses en France. Mais, le projet Belis vise à résoudre celui lié à l’amélioration génétique. […] L’effort d’amélioration génétique, que ce soit dans le domaine public ou privé en Europe, reste très modeste, même sur les espèces les plus importantes, en comparaison avec des espèces telles que le maïs ou le blé. Belis vise à produire des résultats qui auront un intérêt finalisé pour les sélectionneurs et leur écosystème économique, technique et réglementaire. L’idée est de fournir des outils aux sélectionneurs pour qu’ils créent plus vite et mieux des variétés », déclare Bernadette Julier, directrice de recherche à l’Inrae et coordinatrice du projet Belis (Breeding European Legumes for Increased Sustainability), le 22/09/2025.

Sélectionner des légumineuses européennes de manière plus compétitive et durable : tel est l’objectif du projet européen de recherche Belis, coordonné par Bernadette Julier du centre Inrae Nouvelle-Aquitaine-Poitiers. Belis vise notamment à développer des outils de sélection plus efficaces, améliorer l’environnement économique et réglementaire de la sélection des légumineuses et assurer un transfert efficace des innovations grâce à une plateforme collaborative pour le partenariat public-privé.

Bernadette Julier détaille les avancées du projet qui court jusqu’en septembre 2028.

Quelle est la genèse du projet Belis ?

La Commission européenne a lancé, en 2021, un appel d’offres sur des projets d’innovation et d’action sur les légumineuses pour à terme pouvoir accroître les surfaces de légumineuses cultivées en Europe, et donc la production de protéines sans utilisation d’engrais azotés de synthèse. Cet appel d’offres faisait appel à la génétique pour produire à terme des nouvelles variétés. Le projet complet était à rendre en septembre 2022, nous avons obtenu une réponse positive à la toute fin 2022. Nous avons commencé le projet en octobre 2023, il va durer jusqu’en 2028.

La Commission a souhaité lancer ce projet car l’Union européenne est déficitaire en production de protéines végétales, ce qui fait qu’on importe beaucoup de tourteaux de soja d’Amérique, du Sud et du Nord, pour nourrir les animaux, aussi bien les ruminants que les monogastriques.

De nombreux freins existent au développement des légumineuses en France. Mais, l’appel d’offres vise à résoudre le frein lié à l’amélioration génétique. Comme il y a peu de surfaces, il y a peu de ventes de semences, et comme il y a peu de ventes de semences, ce n’est pas très rentable de faire de nouvelles variétés de ces espèces. Certaines espèces, plus cultivées que d’autres, ont des catalogues de variétés assez fournis. L’effort d’amélioration génétique, que ce soit dans le domaine public ou privé en Europe, reste très modeste, même sur les espèces les plus importantes, en comparaison avec des espèces telles que le maïs ou le blé.

Les progrès génétiques sont assez mécaniques. On met beaucoup de moyens, on crée des nouvelles variétés nettement améliorées, si on ne met pas beaucoup de moyens, on ne crée pas un progrès génétique important. Pour certaines espèces de légumineuses, il n’y a pratiquement pas de travaux d’amélioration donc pas de nouvelles variétés.

Belis vise à produire des résultats qui auront un intérêt finalisé pour les sélectionneurs et leur écosystème économique, technique et réglementaire. L’idée est de fournir des outils aux sélectionneurs pour qu’ils créent plus vite et mieux des variétés. Nous travaillons sur 14 espèces : sept légumineuses fourragères (luzerne, trèfle violet, trèfle blanc, sainfoin, lotier, trèfles annuels, vesces), et sept légumineuses à graines (pois, féverole, soja, pois chiche, lentille, haricots, lupin blanc).

Pouvez-vous décrire la composition du consortium Belis : types d’acteurs (chercheurs, semenciers, instituts techniques, organismes de réglementation…), rôles et contributions respectifs ?

Les acteurs sont d’une part des sélectionneurs privés, d’autre part des instituts de recherche européens dont certains conduisent des programmes de sélection. Trois organismes de développement qui sont les intermédiaires entre la recherche, la sélection et les agriculteurs sont impliqués ainsi qu’un office d’inscription des variétés. Il y a également un organisme international de formation et de communication qui contribue très largement à faire connaître Belis.

Comment le projet prévoit-il de tester et d’implémenter les outils dans les programmes de sélection : via des preuves de concept, des essais sur le terrain, etc. ?

Un certain nombre de travaux sont relativement finalisés, et dans le projet, nous allons pour certains jusqu’à la preuve de concept, c’est-à-dire jusqu’à des mini-programmes de sélection ou des programmes de sélection ciblés sur tel ou tel caractère, sur tel ou tel outil pour montrer la pertinence de nos propositions. Élaborer un programme de sélection en cinq ans est évidemment un peu court, mais nous avançons, nous avons déjà quelques résultats.

Pouvez-vous citer quelques résultats déjà concluants ?

Une équipe espagnole a mis au point des marqueurs moléculaires pour aller beaucoup plus vite en sélection sur le pois chiche. Cette équipe a étudié l’hérédité de certains caractères et a trouvé des marqueurs moléculaires qui étaient liés à ces caractères. Ces marqueurs ont été testés dans un autre ensemble de génotypes pour vérifier que lien entre les caractères et les marqueurs était maintenu. Les marqueurs peuvent maintenant être utilisés pour sélectionner des plantes portant les caractères favorables sans devoir attendre qu’elles accomplissent tout leur cycle de vie.

Nous avons aussi la construction d’un outil de génotypage haut débit et peu coûteux. Il sera prêt à l’emploi d’ici quelques mois. Le cahier des charges de cet outil, pour que les sélectionneurs puissent l’utiliser dans leurs programmes, est que le prix du génotypage d’un individu soit au maximum égal au prix d’une parcelle d’essai au champ.

Nous avons également des résultats sur l’utilisation d’images acquises par des caméras embarquées sur des drones pour décrire les caractères sur des essais au champ.

Des résultats sont aussi en train de sortir sur la production de méthodologies pour décrire des résistances à des maladies, des insectes ou des stress lorsque les protocoles n’existent pas encore. Cela va beaucoup aider les sélectionneurs à réaliser des tests en conditions contrôlées plutôt que d’attendre que la contrainte se déclare dans leur site d’observation.

Le projet n’est pas parti de zéro, il valorise plusieurs années de recherches menées dans différents projets. L’idée est que les sélectionneurs puissent prendre en main ces outils et puissent les implémenter rapidement dans leur schéma de sélection.

Au-delà de l’opérationnel, avez-vous l’idée de formuler auprès des instances européennes des recommandations pour modifier la réglementation, sur l’inscription variétale ou encore les critères d’évaluation ?

Oui tout à fait, pour l’inscription variétale, il y a deux étapes : le test de distinction - homogénéité - stabilité et le test de valeur agronomique, technologique et environnementale.

Pour la partie distinction - vis-à-vis des variétés déjà inscrites - le projet souhaite faire avancer l’utilisation de marqueurs moléculaires. À l’heure actuelle, il est interdit par les règlements internationaux de faire la distinction avec des marqueurs moléculaires uniquement. Il est obligatoire d’utiliser des caractères descriptifs, visibles sur les plantes. En revanche, il est autorisé d’utiliser des marqueurs pour étudier la structure de la collection des variétés inscrites. Les essais au champ n’incluraient alors que les variétés candidates et les variétés proches des candidates. Cette stratégie permet d’économiser de l’énergie, parce qu’il y a moins de variétés à implanter sans perte d’efficacité. Nous traitons cette question sur le pois et la luzerne. Pour le pois, il est très laborieux de faire la distinction à cause du grand nombre de variétés et de la complexité des essais pour observer certains caractères. Pour la luzerne, il y a régulièrement des difficultés à distinguer les variétés alors même que des progrès génétiques sont enregistrés. Ces mêmes marqueurs pourraient aussi être utilisés dans les étapes de certification des lots de semences, cette certification garantissant à l’agriculteur qu’il achète des semences conformes à la description de la variété. Nous traitons cette question sur le pois et la luzerne ainsi que sur le pois chiche et la lentille.

Pour l’évaluation agronomique, technologique et environnementale, chaque État membre de l’UE est autonome pour faire l’inscription des variétés, en suivant les règles internationales. Une fois que la variété est inscrite dans un pays européen, elle devient variété européenne, commercialisable dans toute l’UE. Pour autant, les protocoles d’évaluation diffèrent d’un pays à l’autre, y compris concernant les caractères pris en compte. Nous constatons aussi que tous les États membres n’ont pas de catalogue officiel pour certaines espèces de légumineuses parce qu’elles n’y sont pas cultivées alors qu’elles pourraient présenter des intérêts, surtout pour combler les besoins en protéines végétales. Nous avons fait un état des lieux pour comparer les protocoles que nous communiquerons aux offices d’inscription européens.

Par ailleurs, les réseaux d’essais sont toujours conduits à une échelle nationale. Or, on peut réfléchir en agrizones, parfois plus pertinentes que les frontières politiques. Nous avons défini, par exemple, un réseau d’essais en Europe du Nord qui va de la Grande-Bretagne jusqu’à la République tchèque, où des variétés de pois sont testées comme si elles étaient candidates. Nous faisons de même sur la luzerne sur un réseau sud incluant sud de la France, Italie et Serbie. Le pays resterait souverain sur la décision d’inscription, mais le réseau d’essai serait probablement plus pertinent, en particulier lorsqu’une agrizone ne représente qu’une petite zone géographique d’un pays.

Les résultats de ces études seront diffusés aux offices d’inscription des variétés et aux instances européennes qui gèrent les réglementations, de façon à pouvoir les faire évoluer pour améliorer l’efficacité et la pertinence des évaluations des variétés candidates.