André Fougeroux, Végéphyl « Il est crucial de détecter et de suivre l’arrivée des espèces invasives. »
Le réchauffement climatique accélère les cycles d’insectes, favorise leur expansion vers de nouveaux territoires et facilite l’arrivée de ravageurs exotiques. André Fougeroux est président de Végéphyl, la plateforme d’échange pour la santé des végétaux. Il appelle à renforcer l’épidémiosurveillance pour limiter l’installation d’espèces invasives.

Quels changements observe-t-on dans la répartition des ravageurs liés au réchauffement climatique ?
Les insectes sont très sensibles à la température et leurs cycles dépendent de sommes de température. Dès lors que la température augmente avec le changement climatique, on a des cycles d’insectes qui sont plus rapides et qui peuvent entraîner des générations supplémentaires. Au lieu d’avoir une génération annuelle, on va en voir deux. Un des effets directs est l’augmentation des populations d’insectes. Par exemple, les mouches en grande culture, qui faisaient traditionnellement deux cycles par an, maintenant elles en font trois. Les pucerons ont des cycles plus courts, avec des taux de multiplication qui entraînent des explosions de population. Un cas est bien documenté, c’est celui de la pyrale du maïs, qui faisait une génération par an dans le nord de la France. Maintenant on a plusieurs régions où on identifie une deuxième génération qui fait des dégâts., Et une des conséquences c’est que quand il n’y avait qu’une seule génération, on pouvait intervenir sur un maïs pas trop haut. En dessous d'1m20, on pouvait passer avec des engins classiques type pulvérisateur, mais ce n’est plus possible pour la 2e génération, les plants sont trop hauts. Il faut le faire à la main ou par drone pour la lutte biologique avec des trichogrammes, ou avec un enjambeur, mais ce qui n’est pas encore très répandu. Cela complique la tâche des maïsiculteurs.

Le deuxième phénomène que l’on observe, ce sont des populations d’insectes qui étaient traditionnellement dans le sud de la France et qui remontent vers le nord, soit dans le sud de l’Europe ou dans le nord de l’Afrique, qui remontent jusqu’en France. Des populations nouvelles sont installées maintenant sur le territoire depuis 10-20 ans. C’est le cas d’Heliothis, une espèce migratrice de papillons du sud de l’Europe, qui faisait autrefois des incursions dans le sud de la France, en traversant les Alpes ou les Pyrénées lors des années chaudes et qui maintenant passe l’hiver en France. Leurs chenilles, très polyphages, s’attaquent aux haricots, aux maïs, aux tomates… Elles nécessitent des luttes dont on avait pas l’habitude il y a vingt ans.
Le troisième phénomène observé, c’est l’introduction de ravageurs tropicaux qui sont introduits à travers les échanges commerciaux et humains. Actuellement, la grande majorité provient d’Asie du sud-est, Chine Vietnam, Thaïlande, Inde… Ils bénéficient de l’accélération et de l’intensification des échanges commerciaux dans le monde. Autrefois, les populations d’insectes survivaient difficilement aux voyages longs entre les pays, la mortalité était importante. Aujourd’hui, les échanges rapides permettent d’introduire de plus en plus d’espèces nuisibles pour l’agriculture. Dans une étude faite par l’Inrae, on estime qu’en 20 ans, le nombre d’espèces d’insectes nuisibles qui entrent sur le territoire chaque année a été multiplié par 5, soit environ 7 espèces nuisibles de plus par an qui posent des problèmes économiques. Le réchauffement climatique favorise les espèces tropicales, elles auraient du mal à passer les hivers s’ils étaient plus rigoureux. Il y a des dizaines d’exemples comme le charançon du palmier.
Est-ce que les maladies aussi sont impactées par le changement climatique ?
Sur les maladies, c’est un peu moins bien suivi, il y a moins de références.
Les maladies liées à l’humidité ont tendance à régresser, comme le mildiou de la vigne, qui a un peu plus de mal à se développer dans le sud-est de la France. Ces maladies qui régressent peuvent être remplacées par des maladies tropicales à la faveur de l’augmentation des températures.
Il faut savoir que lorsque l’on arrive à un certain niveau de température, certains organismes ne survivent pas. Comme les pucerons, qui lorsque les températures dépassent les 35°C, ont une mortalité importante. C’est un double effet, ils sont favorisés pour l’instant parce que les températures augmentent mais rien ne dit que si on a de très gros coups de chaud comme cet été, on n’aura pas aussi des effets réducteurs sur les populations et c’est vrai aussi pour les organismes utiles(pollinisateurs, auxiliaires…).
Quels impacts ces nouveaux ravageurs et pathogènes ont-ils sur les cultures et la production agricole ?
Selon les derniers chiffres, qui remontent à 2006, on estime que les ravageurs des cultures prélèvent 18 % de la production agricole mondiale. En France, les pertes liées aux ravageurs sont autour de 10 % en France. Avec le réchauffement on pourrait perdre jusqu’à 15 %. Le vrai problème ce sont les impasses, on a de moins en moins de solutions ou parfois des solutions très insuffisantes. Des tas de filières se posent la question de leur survie, face à de nouveaux ravageurs ou des ravageurs qui se mettent à pulluler. Noisettes, prunes, pommes, betteraves, certaines productions de semences… ces filières sont mises à mal parce qu’on a pas encore de solution contre les ravageurs ou les maladies qui les impactent.
En tant que président de l’association Végéphyl, qui s’intéresse à la santé des plantes, on aimerait actualiser les chiffres de 2006 sur l’impact économique des ravageurs grâce au concours des réseaux d’expérimentations et des agents de terrain . Nous souhaiterions ainsi établir de nouvelles références nationales car le climat et les techniques culturales ont changé depuis 2006. Pouvoir estimer les pertes sur chaque culture serait un indicateur utile . Ce pourrait être obtenu grâce aux parcelles témoins mises en place chaque année pour tester les nouveaux produits ou les nouvelles solutions. En dresser des tendances également, pour voir l’évolution et avoir un point de comparaison si les solutions deviennent insuffisantes pour lutter contre les espèces invasives.
A votre connaissance, quels outils, méthodes ou innovations permettent d’anticiper ou de limiter ces risques ?
Ce qui pourrait marcher c’est la mise en place d’une organisation de suivi, qui existait autrefois, qu’on appelait les avertissements agricoles : des réseaux de techniciens, sur le terrain, qui savaient ce qui se passait et qui étaient capables de donner l’alerte sur les maladies et les ravageurs. Le bulletin de santé du végétal(BSV) le fait mais la couverture est très inégale d’une région à l’autre.
Faire de l’épidémiosurveillance, comme on peut le faire pour les maladies humaines, pour détecter et suivre les émergences, contrôler les importations même si c’est extrêmement compliqué. Imaginez un bateau avec 20000 conteneurs, ce n’est pas évident de tomber sur une petite bestiole qui serait cachée dans un coin. Il faut qu’on puisse donner une alerte précoce dans les territoires, pour qu’on puisse limiter le plus rapidement possible son extension sur le territoire.
Dans le cas du frelon asiatique, on peut dire que ça a été très mal géré, il a été détecté pour la première fois en 2004 dans la région d’Agen, il a été très vite repéré mais on a pas eu le réflexe de d’agir fermement autour du foyer pour éviter qu’il ne se développe. Aujourd’hui il est installé partout en France, il pose de gros problèmes aux apiculteurs et aux populations. Il s’est également étendu aux autres pays européens. C’est un exemple où la lutte ne s’est pas mise en place de façon efficace. A contrario, quand la chrysomèle du maïs est arrivée dans les années 2000, on a tout de suite mis en place un contrôle des foyers pour éviter que cet insecte ne se répande, en limitant la culture du maïs autour. On a réussi à ralentir son expansion et à limiter les dégâts. On a gagné 25 ans de lutte grâce à ces mesures. C’est vraiment une question d’organisation quand on détecte un nouveau ravageur ou un nouveau parasite, il faut être prêt à donner l’alerte et à prendre les mesures nécessaires.
Xylella fastidiosa détruit les oliviers, et certaines souches de cette bactérie sont capables de détruire les vignes, mais pour le moment elle est sous contrôle pour éviter une flambée des cas en France […] Il faudrait peut être encourager dès aujourd’hui à trouver des variétés de vignes ou d’oliviers résistants.
Quand un risque est identifié, il faut mettre en place toutes les mesures de gestion du risque, à la fois réglementaires et techniques. Il faut motiver tous les acteurs pour parvenir à limiter le développement de ces bioagresseurs, donc ça nécessite aussi un effort de communication et d’information. Et surtout il faut que cette organisation se maintienne, car une invasion peut être catastrophique.
On surveille avec beaucoup d’intérêt le développement des cas de la bactérie Xylella fastidiosa, qui est arrivée du Brésil par des plants ornementaux. Cette bactérie détruit les oliviers, et certaines souches de cette bactérie sont capables de détruire les vignes, mais pour le moment elle est sous contrôle pour éviter une flambée des cas en France.
On a tendance à oublier aussi l’importance de la résistance variétale. Quand on a un ravageur ou une maladie qui s’installe, c’est bien de mettre en place des études pour trouver des variétés qui leur résistent. On a eu le cas pour le chancre du platane, un champignon qui se transmet dans les sols. Un pépiniériste a trouvé une souche résistante et qui a permis de remplacer les platanes touchés avant qu’ils ne disparaissent. Il y a donc un gros travail des sélectionneurs. Peut être encourager dès aujourd’hui à trouver des variétés de vignes ou d’oliviers résistants.
Quelles recommandations concrètes donneriez-vous aux conseillers agricoles pour se préparer à ces évolutions ?

Il faut être sensibilisé, ça nécessite des campagnes d’information, comme on peut le faire chez Végéphyl. On organise des conférences et des sessions de formation pour informer par rapport aux ravageurs, aux maladies, aux mauvaises herbes, pour rester en alerte. Par exemple, il y a une chenille polyphage qu’on attend, un papillon qui s’appelle le légionnaire d’automne (Spodoptera frugiperda) qui est arrivé d’Amérique du sud, passé par l’Afrique du sud grâce aux échanges internationaux. Elle a remonté toute l’Afrique et on la retrouve maintenant en méditerranée. On l’a détectée aux Baléares,à Madère, en Crête, en Roumanie. Petit à petit, on sait qu’elle va finir par arriver en France. On est déjà un peu sensibilisés grâce aux organisations internationales. C’est important de prévenir les conseillers de terrain, car on ne sait pas où elle va atterrir, où sera le premier foyer, mais dès qu’elle sera là, il faut qu’on soit prêt à gérer son infestation, on ne peut pas laisser les agriculteurs sans solution.