Maxime Bouton, RAGT : « Les choses s’accélèrent pour s’adapter au climat et à la baisse des phytos »
Entre tolérance aux maladies, adaptation aux stress climatiques et recours aux nouvelles techniques de sélection, Maxime Bouton, leader Betterave Sucrière chez RAGT Semences souligne l’urgence d’innover pour répondre à la baisse des phytosanitaires et aux attentes des planteurs.

Vous testez un très grand nombre d’ hybrides de betteraves tous les ans. Comment sélectionnez-vous ceux qui passent du stade expérimental au catalogue commercial ?
En betterave, ce qui nous intéresse c’est le rendement sucre, la productivité, mais aussi la tolérance aux maladies comme la cercosporiose et la jaunisse, ou encore la résistance aux bioagresseurs comme les nématodes. Avant de passer à la commercialisation, il faut inscrire les variétés au catalogue du pays concerné. Par exemple en France, il y a deux ans d’essais dans le cadre du CTPS (Comité technique permanent de la sélection). Après avoir échangé avec les équipes marché et les équipes de recherche et développement, sur la base de nos propres observations et des essais internes de sélection, nous proposons entre 20 et 30 hybrides à l’inscription. Une dizaine seulement seront gardées en post-inscription. Si ces variétés sont retenues, il y aura alors un an de tests dans le réseau interprofessionnel ITB SAS.
Vous évoquez la recherche de « variétés 4x4 » capables de rester productives malgré des conditions climatiques aléatoires. Quels leviers génétiques sont aujourd’hui les plus prometteurs selon vous pour atteindre cet objectif ?
Nous avons à notre disposition un ensemble de gènes, le germoplasme, plus tolérants aux stress hydriques et à la jaunisse. Pour notre sourcing génétique, nous explorons les banques génétiques disponibles ou les populations de betteraves sauvages, comme beta maritima qui poussent au bord de la mer. Nous récupérons ensuite le matériel génétique dont les tolérances sont intéressantes et le croisons avec les individus à fort rendement via une hybridation à trois voies. Nous identifions les zones de gènes responsables des tolérances grâce à des marqueurs moléculaires et utilisons également la génomie prédictive pour simuler les croisements et gagner du temps.
Comment arbitrez-vous entre tolérance aux bioagresseurs, productivité et qualité technologique de la racine dans vos priorités de sélection ?
C’est une question de compromis et de priorité. Nos variétés de betterave sont à destination des industries pour produire du sucre. Il faut qu’elles produisent de grosses racines, riches en sucre et de bonne qualité technologique, le sucre doit être facile à extraire, sans consommer trop d’énergie. Nous sélectionnons des variétés multi-tolérantes (jaunisse, cercosporiose, nématodes etc.), mais nous sélectionnons aussi sur les critères de qualité et de productivité de semences. Dans les zones avec de grosses difficultés techniques, comme une forte pression maladies, nous préconiserons de positionner des variétés à forte tolérance.
La jaunisse reste un défi majeur. Avez-vous déjà identifié des lignées prometteuses capables de maintenir un rendement élevé en conditions d’inoculation forte ?
Oui nous avons identifié ce type de lignées que nous avons croisées pour obtenir des variétés hybrides permettant de sécuriser le rendement. Par exemple, Tweed ou Yellowstone ont été reconnues par certains protocoles d’inscription européens car elles limitent les pertes en cas de forte pression entre 5 et 15 %.
Quelle place prennent le génotypage et le phénotypage de précision dans l’accélération du progrès génétique sur betterave ?
Le génotypage, c’est l’étude du génome. L’utilisation des marqueurs moléculaires nous permet d’éviter les tâtonnements et d’identifier les zones de gènes tolérants et ainsi de prévoir les croisements à effectuer. Le développement des outils d’intelligence artificielle, nous permet de gagner du temps dans notre schéma de sélection.
Le phénotypage, c’est la cartographie de l’expression visible des gènes. On recherche des plantes saines, qui expriment bien leurs tolérances. Par exemple une betterave dont les feuilles ne jaunissent pas lorsqu’elles sont touchées par la jaunisse. On sélectionne des variétés plus tolérantes aux herbicides, ou plus couvrantes, plus foncées, ou encore plus pileuses pour empêcher les pucerons de les piquer.
Quels traits de tolérance aux stress climatiques (sécheresse, excès d’eau, températures extrêmes) vous semblent les plus réalistes à intégrer dans les variétés commercialisées d’ici à 2030 ?
C’est toute la complexité de la situation ! Les aléas climatiques deviennent plus fréquents et plus extrêmes. Cette année, nous avons connu une période très sèche, alors qu’elle a été précédée par deux années de pluies abondantes. Si je devais identifier un aléa majeur, je dirais qu’il est essentiel de préparer les betteraves aux pics de chaleur : nous avons parfois enregistré des températures extrêmes dépassant les 50 °C en plein champ.
Nos programmes de sélection sont longs : il faut entre 5 et 7 ans pour développer de nouveaux hybrides, et près de 10 ans pour la commercialiser. Pour pouvoir s’adapter rapidement à ces changements climatiques, il nous faut plus d’agilité. Les méthodes de sélection jouent un rôle crucial, et nous cherchons à accélérer le processus, notamment face à la réduction de l’usage des produits phytosanitaires. Nous développons en particulier la sélection génomique et prédictive.
Voyez-vous émerger des axes de sélection encore peu explorés aujourd’hui, comme l’efficience de l’utilisation de l’azote ou l’association avec des couverts végétaux ?
L’association avec les couverts végétaux est une bonne piste pour diminuer le carbone ou optimiser l’utilisation de l’azote.
Nous travaillons déjà sur un projet de couverts permettant de mieux fixer l’azote et la restituer à la culture suivante.
Un axe encore peu exploré, mais qui devient prioritaire à cause des cicadelles, c’est la tolérance au syndrome de basse richesse, ou SBR. En Allemagne, cela représente 80 000 hectares perdus, et cela concerne également les producteurs en Alsace. Nous n’avons aucune solution pour lutter contre le SBR : pas d’insecticide ni de solution agronomique pour le moment, la génétique reste la clé d’entrée.
Il faut retenir que toutes les maladies s’adaptent aux tolérances que nous développons Il y a plus de 400 souches différentes de cercosporiose, 3 virus connus qui déclenchent la jaunisse. Tout l’enjeu est de se mobiliser sur l’ensemble des maladies dites “de racine”.