Comités des solutions sur les phytosanitaires : des risques de perte d’indépendance, selon l’Anses
Un avis rendu par le conseil de déontologie et de prévention des conflits d’intérêts de l’Anses, le 10 avril 2025, estime que la création du comité des solutions sur les produits phytosanitaires et celle, potentielle, du comité d’orientation telle qu’esquissée dans la proposition de loi des députés Laurent Duplomb et Franck Menonville, pourraient remettre en cause le fonctionnement actuel et les garanties de transparence sur les avis et d’indépendance des décisions de l’agence.

« Tout comité associant les parties prenantes est potentiellement une source d’influence. Pour limiter ce risque, il conviendrait de pouvoir tracer les liens d’intérêts et les prises de position des participants » : telle est l’une des conclusions d’un avis rendu par le conseil de déontologie et de prévention des conflits d’intérêts de l’Anses, le 10 avril 2025.
Une saisine avait été adressée au Codéon par Benoît Vallet, directeur général de l’agence, le 12 avril 2024, lui demandant « de formuler des recommandations sur les processus que l’Anses doit respecter entre la finalisation de ses travaux (scientifiques et techniques ou décisionnels) et la diffusion des résultats correspondant ».
« Garantir l’indépendance scientifique de l’agence par rapport aux intérêts économiques »
Dans la ligne de mire de cette saisine : la création, en mars 2024, d’un « comité des solutions », réunissant les représentants des professions agricoles, des chambres d’agriculture, des instituts techniques agricoles, de l’Inrae et de l’Anses afin de promouvoir la recherche d’alternatives aux substances de produits phytosanitaires interdites.
« S’il peut paraître pertinent de mettre tous les intervenants autour d’une table pour discuter et trouver des solutions acceptables aux impasses techniques, il convient d’être attentif aux risques de perte d’indépendance de l’expertise de l’Anses et des décisions qu’elle prend », estime le Codéon.
Autre motif d’inquiétude : l’avènement potentiel d’un « comité d’orientation pour la protection des cultures », chargé « d’aviser le ministre chargé de l’Agriculture des usages (des produits phytosanitaires) qu’il considère comme prioritaires », tel que prévu par la proposition de loi des députés Laurent Duplomb et Franck Menonville, qui sera examinée à l’Assemblée nationale fin mai 2025. « De tels comités pourraient remettre en cause le fonctionnement actuel et les garanties de transparence sur les avis et d’indépendance des décisions de l’Anses », indique le conseil.
« Le Codéon est arrivé à la conclusion que la difficulté majeure associée à la question soulevée par la présente saisine est de garantir l’indépendance scientifique de l’agence par rapport aux intérêts économiques et aux pressions de tout type, entre la fin de l’expertise et sa publication », pointe-t-il.
Les recommandations du conseil de déontologie
Recommandation 1 : Deux des protocoles en vigueur à l’Anses datent de 2011, il conviendrait de s’assurer qu’ils sont toujours à jour afin de les actualiser si cela était nécessaire.
Recommandation 2 : Lors des suivis mensuels internes à l’Anses de toutes les saisines en cours par le CTS (Comité du traitement des saisines), le Codéon recommande que soient identifiées celles dont les avis ou les expertises à venir pourraient nécessiter un travail important de gestion du risque par les ministères de tutelle concernés : dans ce cas, les tutelles devraient être informées au préalable de ces situations afin qu’elles puissent être anticipées. La grille de questionnement élaborée par le CSO (Centre de sociologie des organisations), fournie en annexe, pourrait être utilisée pour identifier les thèmes potentiellement à risque.
Recommandation 3 : Lorsqu’un avis de l’Anses donne lieu à une décision ultérieure d’un ministère et que cette décision est soumise à consultation, l’avis de l’Anses doit être publié avant cette phase de consultation.
Recommandation 4 : Le Codéon recommande que le délai de publication à l’issue de l’expertise soit défini dans le contrat de saisine en respectant une durée minimum de 15 jours après signature de l’avis et en gardant l’objectif de publication dans les deux mois. Dans les situations d’urgence, ce délai de quinze jours peut être réduit d’un commun accord.
Recommandation 5 : Si un report au-delà de deux mois de la publication d’un avis ou d’une décision de l’agence est jugé nécessaire, le motif de ce report doit être justifié et documenté par les autorités qui en font la demande ou par l’Anses.
Recommandation 6 : Le comité de déontologie recommande que l’Anses ne participe à un comité qui réunirait les parties prenantes et se tiendrait entre le moment de signature d’un avis et sa publication qu’aux conditions suivantes :
- affirmation du caractère consultatif de ce comité ;
- présence de l’ensemble des ministères de tutelle ;
- pour chaque participant : fonction, affiliation et déclaration des liens d’intérêts ;
- publication des verbatims complets des séances permettant donc la traçabilité des discussions ;
- absence d’influence ou de pression à l’égard de l’Anses. Toute tentative d’influence ou de pression doit être consignée au registre des porteurs d’intérêts dont l’Anses est dotée.