Agroécologie

Prairies : un seuil de fertilisation menace la biodiversité et la résilience des écosystèmes


Une étude inédite menée par INRAE et le CNRS révèle qu’au-delà de 80 kg d’azote par hectare et par an, les prairies basculent vers un état écologique dégradé. Identifier ces « seuils écologiques » permettrait d’anticiper les effets délétères des pratiques agricoles intensives.

Prairies : un seuil de fertilisation menace la biodiversité et la résilience des écosystèmes
Prairies : un seuil de fertilisation menace la biodiversité et la résilience des écosystèmes

Et si un simple ajustement de la fertilisation suffisait à faire basculer un écosystème tout entier ? C’est ce que démontre une étude européenne sur les prairies tempérées, menée pendant plus de dix ans sur 150 sites agricoles. Les résultats sont sans appel : passé un certain seuil, les prairies perdent leur diversité, leur stabilité… et leur résilience face au changement climatique.

Quand trop d’azote fait basculer l’écosystème

Menée entre 2008 et 2020 sur un réseau de prairies allemandes représentatives de l’Europe de l’Ouest, l’étude s’est intéressée à la réponse des prairies aux pratiques agricoles, notamment la fertilisation azotée. Elle met en lumière un phénomène jusqu’ici peu quantifié : l’existence de seuils écologiques, des points de bascule où de petites variations dans les pratiques humaines entraînent de profonds bouleversements dans les écosystèmes.

« Un premier seuil est détecté à partir du moment où les agriculteurs fertilisent les prairies », résument les scientifiques. Si le système reste relativement stable jusqu’à une certaine intensité d’intrants, le franchissement du seuil de 80 kg d’azote par hectare et par an marque un tournant.

Un écosystème simplifié, moins productif et plus vulnérable

Au-delà de ce seuil, la diversité végétale s’effondre. Les prairies se réduisent à un nombre limité d’espèces aux traits similaires, comme le ray-grass ou le pissenlit. Résultat : un écosystème plus homogène, donc plus fragile, qui n’offre plus les mêmes services écologiques. La production de biomasse stagne, tandis que le sol devient plus perméable au lessivage des nutriments, et donc moins fertile.

À l’inverse, les prairies naturelles, c’est-à-dire non fertilisées, abritent une richesse fonctionnelle qui les rend plus résistantes aux aléas climatiques et plus efficaces dans la séquestration du carbone, la pollinisation ou la rétention d’eau.

Un outil d’alerte pour la gestion des terres agricoles

En s’appuyant sur l’analyse des traits fonctionnels des plantes, notamment leur taille, leur vitesse de croissance, leur stratégie de reproduction, les chercheurs proposent une méthode robuste pour détecter les signes précoces de dégradation. Cette approche pourrait être transposée à d’autres écosystèmes, des lacs aux forêts, afin de prévenir des effondrements écologiques silencieux.

Alors que les écosystèmes sont mis sous pression par le changement climatique et les activités humaines, identifier les seuils de rupture devient une priorité. Pour l’agriculture, cela signifie repenser l’usage des intrants, non seulement pour protéger la biodiversité, mais aussi pour préserver la stabilité de systèmes dont elle dépend.