Biocontrôle : « Introduire des incitations financières directes », Gilles Ravot, Alliance Biocontrôle
À l’occasion de la publication du baromètre 2025 du secteur du biocontrôle, réalisé par ADquation pour Alliance Biocontrôle, Gilles Ravot, président de l’association depuis le 18 mars 2025, en remplacement de Céline Barthet, revient sur les dynamiques du marché, les évolutions réglementaires en cours au niveau européen, et les leviers à mobiliser pour accélérer le déploiement de ces solutions innovantes.

Quels sont les principaux enseignements de ce baromètre ?
La situation s’est normalisée, permettant au marché de retrouver son rythme de croissance habituel.
Le marché du biocontrôle en France est estimé aujourd’hui à 308 millions d’euros, selon les résultats de notre baromètre. Après une légère inflexion observée en 2023, nous constatons une reprise de la croissance en 2024, renouant ainsi avec la dynamique que nous connaissons depuis six ans. Cette croissance annuelle en valeur s’établit en moyenne à 9 %.
Le recul enregistré en 2023 s’expliquait avant tout par des facteurs conjoncturels : de nombreux distributeurs ont procédé à un déstockage de produits, conséquence directe des tensions post-Covid sur les chaînes d’approvisionnement et les matières premières qui avaient incité les acteurs du secteur à constituer des stocks de précaution. Aujourd’hui, la situation s’est normalisée, permettant au marché de retrouver son rythme de croissance habituel.
Le biocontrôle représente en valeur 12 % du marché de la protection des plantes. Toutefois, cette proportion reste encore éloignée de l’objectif que nous nous sommes collectivement fixés au sein de l’association Alliance Biocontrôle : atteindre 30 % de part de marché en valeur d’ici à 2030. Pour y parvenir, il est indispensable de faciliter l’accès à l’innovation et de permettre le déploiement plus rapide et plus large des solutions de biocontrôle.
Comment envisagez-vous de favoriser cet accès à l’innovation ?
La mise sur le marché d’un produit de biocontrôle prend entre sept et dix ans en Europe, contre seulement deux à trois ans aux États-Unis ou en Amérique du Sud.
Il nous semble essentiel de faire évoluer la réglementation au niveau européen. Aujourd’hui, la mise sur le marché d’un produit de biocontrôle prend entre sept et dix ans en Europe, contre seulement deux à trois ans aux États-Unis ou en Amérique du Sud. Ce décalage constitue un frein majeur à l’innovation. Il est donc nécessaire d’harmoniser les délais d’accès au marché afin de les rendre plus raisonnables et compétitifs.
Par ailleurs, il ne suffit pas de favoriser l’arrivée de nouveaux produits. Il convient également de mieux valoriser et déployer les solutions existantes. À ce titre, deux leviers nous paraissent fondamentaux :
- D’une part, des incitations financières claires en faveur des agriculteurs, afin de les encourager à adopter ces alternatives ;
- D’autre part, un accompagnement technique renforcé, car ces solutions s’inscrivent souvent dans des stratégies combinatoires plus complexes, qui exigent un réel accompagnement dans la transition des pratiques agricoles.
Quelles évolutions observe-t-on du côté de la réglementation européenne ?
Il faut savoir qu’à ce jour, il n’existe pas de définition officielle du biocontrôle à l’échelle européenne. Toutefois, les choses évoluent. Un tournant important a eu lieu le 19 février 2025, avec la publication par le commissaire européen à l’agriculture, Christophe Hansen, de sa vision stratégique pour l’agriculture européenne.
Dans ce document, des orientations majeures sont formulées pour accompagner la transition agroécologique, dont plusieurs concernent directement le biocontrôle :
- La proposition d’instaurer une définition européenne du biocontrôle, étape incontournable vers une nouvelle réglementation dédiée.
- Le rétablissement des autorisations provisoires pour accélérer la mise sur le marché de ces produits.
- La mise en œuvre par les États membres de procédures de type « fast-track », c’est-à-dire d’instructions accélérées pour ces produits.
- L’amélioration du système de reconnaissance mutuelle entre États membres, afin de fluidifier l’accès aux marchés européens.
Ces propositions, encore à l’état de projet, traduisent néanmoins une véritable prise de conscience à l’échelle européenne quant à la nécessité d’adapter le cadre réglementaire aux spécificités du biocontrôle. Pour nous, c’est une première avancée structurante.
Dans ce contexte, Alliance Biocontrôle travaille activement, avec l’ensemble de ses membres, à formuler une proposition de définition européenne du biocontrôle, qui servira de socle aux futurs textes.
Peut-on esquisser un calendrier de mise en œuvre ?
Le commissaire Hansen a exprimé sa volonté d’agir rapidement dès 2025.
Le commissaire Hansen a exprimé sa volonté d’agir rapidement dès 2025. Depuis septembre 2024, le dialogue stratégique a permis d’inscrire le biocontrôle à l’agenda politique européen. En décembre 2024, le Conseil des ministres européens de l’Agriculture a offert une tribune à ce sujet, au cours de laquelle de nombreux États membres ont exprimé un soutien explicite à cette évolution.
Il est à noter que le biocontrôle constitue désormais un sujet consensuel et transpartisan à l’échelle européenne. Ce consensus est une opportunité à saisir. La Commission européenne a besoin de succès politiques après l’échec du projet de règlement SUR (Sustainable Use Regulation), et le biocontrôle apparaît comme un terrain d’entente prometteur pour relancer une dynamique positive.
Vous évoquez la nécessité d’incitations financières. Qu’en est-il concrètement ?
Les agriculteurs, en tant qu’utilisateurs finaux, ne bénéficient pas encore d’un soutien financier dédié pour adopter ces nouvelles pratiques.
En France, la réglementation actuelle prévoit déjà certains avantages pour les metteurs en marché et les distributeurs s’agissant des produits de biocontrôle. Par exemple :
- Les redevances pour dépôt de dossiers sont moindres pour les produits de biocontrôle, comparativement aux produits phytopharmaceutiques conventionnels.
- Les CEPP (Certificats d’économie de produits phytosanitaires) offrent également un levier incitatif pour la distribution.
Cependant, les agriculteurs, en tant qu’utilisateurs finaux, ne bénéficient pas encore d’un soutien financier dédié pour adopter ces nouvelles pratiques. Cela constitue un maillon manquant. Nous estimons qu’il est important d’introduire des incitations financières directes pour les aider à franchir le cap, d’autant que ces pratiques peuvent être complexes et nécessitent souvent un accompagnement.
Plusieurs pistes sont à l’étude, bien qu’aucune option ne soit arrêtée à ce stade. À titre d’exemple, certains Länder allemands ont instauré des aides pour l’adoption de la confusion sexuelle (utilisation de phéromones contre les insectes ravageurs) en vigne. Résultat : en Allemagne, ce type de solution atteint un taux de pénétration de 66 % (en hectares), contre seulement 15 % en France. Aujourd’hui, il n’y a plus d’incitation financière, et on est resté à ce niveau d’utilisation de ces solutions. L’efficacité de ces mesures est donc démontrée.
Comment portez-vous ce dossier auprès des institutions ?
Nous avons engagé un dialogue avec le ministère de l’Agriculture, mais aussi avec plusieurs parlementaires, pour faire évoluer le cadre législatif. Cela peut passer par des amendements à des textes en cours, ou par des mesures intégrées dans une loi de finances, permettant d’introduire des dispositifs de soutien budgétaire adaptés.
Que pensez-vous de l’accompagnement technique des agriculteurs ?
Il serait également pertinent de permettre aux metteurs en marché de délivrer des conseils.
Ce volet touche à une question structurante : la séparation entre vente et conseil, instaurée ces dernières années. Une réflexion est actuellement menée dans le cadre de la proposition de loi Duplomb-Menonville, qui pourrait conduire à un assouplissement partiel de cette séparation.
Nous nous réjouissons que le conseil puisse être à nouveau autorisé à tous les acteurs de la distribution ; si cette proposition de loi est adoptée, elle répondra ainsi à une partie de notre attente. Nous considérons qu’il serait également pertinent de permettre aux metteurs en marché - qui sont les mieux placés en matière de connaissance technique des produits - de délivrer des conseils. Dans la proposition actuelle de loi, cela ne serait autorisé que pour les entreprises produisant exclusivement des solutions de biocontrôle. Or, de nombreux acteurs développent à la fois des solutions conventionnelles et de biocontrôle. Il serait donc opportun d’élargir cette capacité de conseil à l’ensemble des producteurs, pour mieux accompagner les agriculteurs dans l’adoption de ces innovations.
Quelle est la situation économique actuelle des entreprises du secteur ?
La croissance du biocontrôle est bien là, mais elle s’inscrit dans un écosystème globalement tendu.
Le marché de la protection des plantes traverse une période difficile depuis deux ans. Cela concerne l’ensemble du secteur, et notamment les entreprises qui produisent des produits de biocontrôle. Il est indéniable que le contexte économique pèse sur les metteurs en marché. La croissance du biocontrôle est bien là, mais elle s’inscrit dans un écosystème globalement tendu. Cela renforce la nécessité d’un soutien politique et financier fort pour permettre au secteur de franchir une nouvelle étape tout en accédant le plus vite possible à une réglementation européenne dédiée et adaptée au biocontrôle pour libérer l’innovation.
Concepts clés et définitions : #Biocontrôle , #Produits phytosanitaires