Agrostratégie

« La CSRD est un travail colossal », Maxime Robineau, responsable RSE chez Eurea


Les entreprises se préparent à un changement important avec la CSRD. Maxime Robineau, responsable RSE et gestion de projets et référent Énergie à la coopérative Eurea, livre un éclairage concret sur la manière d’anticiper cette transformation entre exigence de transparence, complexité des données et incertitudes réglementaires.

Maxime Robineau, responsable RSE et gestion de projets et référent Energie à la coopérative Eurea - © Eurea
Maxime Robineau, responsable RSE et gestion de projets et référent Energie à la coopérative Eurea - © Eurea

Où en êtes-vous de la CSRD ?

Nous sommes assujettis à la déclaration de performance extra-financière (DPEF) annuelle. Nous devons donc rendre des comptes sur des indicateurs sociaux, sociétaux et environnementaux. La première déclaration a été réalisée en 2021, au titre de l’exercice précédent. Nos exercices comptables vont du 1er juillet au 30 juin, ce qui fait que nous faisions vérifier notre déclaration de performance extra-financière avant notre assemblée générale. Concernant la CSRD, le premier reporting doit avoir lieu en 2026 au titre de l’année 2025. Ce sont les exigences réglementaires actuelles. Nous devrons calculer tous les indicateurs de la CSRD qui devront être publiés au 30 juin 2026. Nous avons commencé à y réfléchir et nous attendons des données pour consolider nos chiffres.

La partie environnement couvre le changement climatique, la pollution, l’impact sur l’eau, la biodiversité, les écosystèmes et l’usage des ressources dans une logique d’économie circulaire.

La CSRD est un travail colossal. Nous suivons une quinzaine d’indicateurs extra-financiers, que nous faisons vérifier par un cabinet d’audit pour assurer que nos calculs sont conformes au décret, notamment pour le bilan carbone. Ces contrôles garantissent que les chiffres communiqués correspondent bien à la réalité. Pour la CSRD, le temps de contrôle sera plus important et la durée des missions beaucoup plus longue. Étant donné le nombre d’indicateurs, nous allons avoir un temps de mission plus long qu’avec la DPEF. Il nous faudra environ cinq jours de mission. Nous avons annoncé le chantier de la CSRD sur quatre piliers : environnement, social, client et gouvernance. La partie environnement couvre le changement climatique, la pollution, l’impact sur l’eau, la biodiversité, les écosystèmes et l’usage des ressources dans une logique d’économie circulaire. La partie sociale concerne les salariés, le partage de la valeur, etc.

Quelles sont les différences entre DPEF et CSRD ?

La CSRD a l’avantage de standardiser les indicateurs et leur mode de calcul pour toutes les entreprises.

Avec la CSRD, nous devons déclarer des informations relatives aux impacts du changement climatique, avec des objectifs de baisse et des indicateurs de performance. Ces indicateurs sont ensuite subdivisés selon les normes ESRS, qui nous imposent une méthodologie de calcul stricte définie par la directive européenne. C’est une grosse différence avec la DPEF. Dans la DPEF, l’entreprise devait déclarer ses impacts climatiques, mais elle restait libre de définir ses propres modes de calcul et objectifs. Cette souplesse était intéressante, mais aussi une limite, car elle permettait à certaines entreprises d’adapter les chiffres à leur avantage. La CSRD a l’avantage de standardiser les indicateurs et leur mode de calcul pour toutes les entreprises. Elle apportera plus de visibilité et de transparence. L’objectif est que tous les acteurs (force publique, journalistes, citoyens) puissent comparer les performances des entreprises.

Nous n’avons pas les moyens de calculer les facteurs d’émission du blé chez chacun de nos 7 000 apporteurs distincts.

Nous avons choisi Agribalyse comme base de calcul, une méthode officielle, pour certains indicateurs. Nous définissons les facteurs d’émissions et les différents calculs de bilans carbone, validés par un spécialiste. Demain, dans le cadre de la CSRD, nous devrons refaire ces calculs. Nous avons néanmoins une base solide, contrairement à certaines entreprises. Quand nous calculons le bilan carbone pour la collecte des céréales, nous devons prendre en compte les silos de collecte. La seule manière de calculer le bilan sur le Scope 3 est d’estimer les distances moyennes entre nos exploitations agricoles et les silos qui leur sont affectés. Nous n’avons pas les moyens de calculer les facteurs d’émission du blé chez chacun de nos 7 000 apporteurs distincts. Nous utilisons donc le facteur d’émission Agribalyse pour le blé conventionnel, basé sur des données publiques. Nos facteurs d’émission réels sont en réalité inférieurs aux facteurs officiels, car nous savons que nos agriculteurs utilisent moins d’engrais azotés. Nous pourrions affiner ces calculs en investissant dans une étude spécifique réalisée par un bureau d’études, ce qui permettrait d’améliorer notre estimation de 30 %.

Quel est le point le plus complexe ?

Le plus complexe est l’acquisition des données.

Le plus complexe est l’acquisition des données. Nous avons besoin d’informations sur des activités très variées, mais certaines sont difficiles à obtenir. Par exemple, pour la consommation d’eau, nous n’avons pas les moyens techniques de suivre mensuellement les données. Nous utilisons donc des données issues des compteurs ou des syndicats des eaux. Nos 100 sites ne peuvent pas relever systématiquement leurs compteurs à une fréquence fine, comme tous les mois. Sur certains aspects, nous sommes prêts, car nous disposons des informations en interne. Mais pour toutes les données externes, nous sommes en difficulté. Un autre exemple concerne les déchets : une partie est gérée par la collecte des ordures ménagères, mais nous n’avons pas toutes les données, notamment celles gérées par les collectivités. L’indicateur biodiversité est aussi un enjeu. Nous travaillons dans des filières qui protègent la biodiversité et nous nous appuyons sur des données factuelles. Pour pallier ces difficultés, nous collaborons avec InVivo dans un groupe de travail RSE, pour structurer notre approche scientifiquement.

Le calcul du bilan carbone est le plus avancé, car nous avons déjà défini des référentiels conformes à la CSRD. Nous ne subirons pas de changements majeurs sur ce point, ni sur la partie sociale. Nous allons perdre quelque chose avec la CSRD, car la DPEF s’inscrivait dans une stratégie globale du groupe. La CSRD est un exercice plus segmenté et découplé de notre stratégie d’entreprise. La déclaration de performance extra-financière était perçue comme un outil de pilotage d’activité, au-delà de son caractère obligatoire. Aujourd’hui, avec la CSRD, nous passons à un reporting normatif, plus technique.

Je suis seul sur la CSRD, mais je travaille avec une vingtaine de personnes pour consolider les données. C’est un travail important qui demande beaucoup d’organisation et de coordination.

Que pensez-vous des annonces de report de la CSRD ?

Pour Eurea, le travail réalisé en anticipation de cette exigence n’est toutefois pas perdu.

Le conseil européen a validé le 14 avril 2025 le texte « stop the clock » qui reporte les obligations des vagues 2 et 3 de la CSRD (Omnibus 1). Concrètement, à l’exception des entreprises d’intérêts public (EIP), les exigences relatives à la publication d’informations qui concernent la durabilité ont été repoussées de deux ans et ne seraient applicables qu’à compter de 2028. Cette directive omnibus modifie également le seuil d’application de la CSRD qui passe désormais à une obligation dès lors que deux des trois critères ci-dessous sont remplis :

  • au moins 1000 salariés ;
  • CA de plus de 50 M€ ou un total du bilan de plus de 20 M€.

Il s’agit donc d’une modification substantielle du Green deal européen (baisse d’environ 80 % du nombre d’entreprises concernées par la CSRD) qui aura des conséquences importantes sur la manière dont beaucoup d’entreprises s’approprieront les sujets liés à la RSE et sur l’environnement économique qui se structurait.

Pour Eurea, le travail réalisé en anticipation de cette exigence n’est toutefois pas perdu. En effet, les analyses de double matérialité et des risques réalisée dans ce contexte restent essentielles dans notre approche stratégique.

Concepts clés et définitions : #Changement climatique , #Engrais