Biosolutions : « Le principal frein est plutôt la courbe d’expérience agronomique » (N. Fillon, De Sangosse)
Alors que les biosolutions connaissent un essor rapide, De Sangosse mise sur l’accélération de l’innovation et du déploiement, plus que sur une évolution du cadre réglementaire. Pour Nicolas Fillon, directeur général du groupe, le véritable défi réside dans la montée en expérience agronomique afin d’assurer l’efficacité de ces technologies sur le terrain. Un enjeu stratégique au moment où l’entreprise investit massivement dans un nouveau centre de R&D et dans ses outils industriels.
Au-delà des délais d’homologation, un enjeu d’expérience de terrain
« Je serais ravi si on accélérait les agendas d’homologation. Mais notre portefeuille actuel et le réservoir qu’il présente pour la croissance sont déjà suffisants. Nous devons d’abord travailler ces solutions. Il y a plusieurs exemples de retraits de molécules qui mettent les agriculteurs dans un grand désarroi, car ils se retrouvent dans des impasses techniques […]. Le sujet réglementaire est prégnant, mais le principal frein est plutôt la courbe d’expérience agronomique sur des technologies des biosolutions pour apprendre à bien les utiliser », déclare Nicolas Fillon, directeur général de De Sangosse, à News Tank, le 03/12/2025.
Le groupe agrochimique présentait, le 28/10/2025, sa feuille de route stratégique à horizon 2030, comportant des projets d’innovation et de recherche. Parmi eux, le développement d’un nouveau centre de R&D, près de Toulouse (Haute-Garonne). D’un coût total de 12 M€, ce centre rassemblera l’ensemble des technologies du groupe (kairomones, phéromones, phytothérapie, biostimulants, ou encore biofertilisants) pour accélérer la mise sur le marché de nouvelles solutions.
« Il y a des thématiques particulières sur lesquels nous voulons mettre l’accent grâce à ce centre, notamment les bio-insecticides. Avec le changement climatique, de nouveaux parasites apparaissent chaque année, comme la punaise diabolique en Amérique du Sud ou l’helicoverpa au Brésil. Nous sommes dans une accélération de la problématique des insectes. L’idée est de les contrôler sans augmenter l’utilisation de pesticides, mais plutôt en ayant recours à de nouvelles solutions. »
Nicolas Fillon revient sur les ambitions de De Sangosse au travers de ces investissements et sur les leviers de croissance identifiés par le groupe, qui vise un chiffre d’affaires de 1 Md€ d’ici à 2030.
Vous venez d’annoncer le lancement de la construction d’un centre de R&D d’envergure mondiale au sud de Toulouse (Haute-Garonne), opérationnel à partir de 2027 : quel sera le rôle de ce site, qui rassemblera l’ensemble des technologies de De Sangosse ? Quelles sont les ambitions portées par le groupe au travers de ce centre ?
Parmi les technologies liées aux biosolutions, il existe des technologies du vivant, telles que des micro-organismes, des technologies issues de substances naturelles, des technologies issues de phéromones ou de kairomones. Jusqu’à présent, nous avons bien développé les technologies, mais nous n’avons pas encore exploité le potentiel issu du croisement de ces technologies. De nouvelles solutions peuvent émerger d’une substance naturelle, par exemple en la combinant avec un micro-organisme, afin d’obtenir un effet de biostimulation de la plante, en plus d’un effet sur la lutte contre un parasite, comme la septoriose du blé ou le mildiou de la vigne. Cela permet d’ouvrir de nouveaux champs.
Le centre comportera aussi des outils comme des phytotrons, qui nous permettront d’accélérer le passage du laboratoire au plein champ
Le centre de 2 500 m² endossera la responsabilité de garder l’expertise de nos 11 laboratoires spécialisés (l’originalité de la R&D de De Sangosse est d’avoir gardé un focus très spécifique pour chaque technologie), tout en essayant d’embarquer vers ces nouvelles combinaisons. Le deuxième objectif est d’associer de l’IA sur du screening pour accélérer le pas de temps de la recherche. Le centre comportera aussi des outils comme des phytotrons, qui nous permettront d’accélérer le passage du laboratoire au plein champ, le phytotron étant l’étape intermédiaire qui permet de tester les solutions sur des plantes.
Sur quels types de produits et de cultures ce centre travaillera-t-il tout particulièrement ?
Il y a des thématiques particulières sur lesquels nous voulons mettre l’accent, notamment les bio-insecticides. Avec le changement climatique, de nouveaux parasites apparaissent chaque année, comme la punaise diabolique en Amérique du Sud ou l’helicoverpa au Brésil. La problématique des insectes s’accélère. L’idée est de les contrôler sans augmenter l’utilisation de pesticides, mais plutôt en ayant recours à de nouvelles solutions. Nous avons l’objectif de commercialiser des produits sur tous les types d’agriculture. Nous ne visons pas seulement l’agriculture biologique, mais tous les hectares. Les cultures ciblées par les biosolutions ces dix dernières années ont principalement été les cultures spécialisées, à savoir la vigne, l’arboriculture et le maraîchage.
L’objectif de cette nouvelle plateforme est aussi l’élargissement du terrain de jeu de nos solutions vers ces grandes cultures
Pour l’ambition de De Sangosse de doubler les surfaces couvertes par ses biosolutions, il faut passer aux grandes cultures : le blé, le maïs, le soja. La santé des sols est une problématique qui les concerne largement. L’objectif de cette nouvelle plateforme est aussi l’élargissement du terrain de jeu de nos solutions vers ces grandes cultures. Nous mettons des moyens supplémentaires sur l’innovation, mais nous pouvons doubler ces surfaces à portefeuille identique. Nous ne voulons pas seulement faire la promesse que le portefeuille de De Sangosse continuera à se densifier avec de nouvelles solutions, liées aux moyens mis sur la plateforme, mais aussi que les parties prenantes, les agriculteurs, les distributeurs, les techniciens, les instituts, répondront à l’appel de nouveaux partenariats.
Quel intérêt voyez-vous dans la réalisation de ces partenariats, à la fois pour De Sangosse et vos interlocuteurs ?
Il est important pour un agriculteur de croiser des itinéraires agronomiques différents, avec l’agriculture de conservation des sols, des couverts végétaux, du stockage de carbone. Il est aussi important d’utiliser les outils liés à la génétique et à la semence, pour avoir des variétés plus tolérantes. Certains biocontrôles peuvent fonctionner avec une variété tolérante, mais, dans le cas d’une variété ultrasensible à une maladie, ce n’est peut-être pas la bonne solution pour avoir une équation gagnante. Nous allons aussi devoir réapprendre à faire plus d’agronomie, ce que la chimie faisait beaucoup jusqu’à présent. Pour cela, nous sommes très ouverts à tous les partenariats : par exemple, la robotique sur le contrôle des mauvaises herbes, ou le travail mécanique des sols sur les techniques culturales simplifiées.
Les instituts techniques peuvent nous aider dans l’analyse de sol, afin d’apprendre à décaler les dates de semis pour subir une pression parasitaire d’une durée plus courte
Les semenciers doivent travailler avec nous, car ils ont les clés pour avoir des variétés plus tolérantes ou moins sensibles, qui nous intéressent dans l’équation des biosolutions. Les instituts techniques peuvent nous aider dans l’analyse de sol, afin d’apprendre à décaler les dates de semis pour subir une pression parasitaire d’une durée plus courte. Souvent, les biosolutions ont moins de rémanences que les produits chimiques, c’est aussi leur intérêt. Nous travaillons déjà sur tous ces sujets, mais il faut que nous nous y mettions tous ensemble.
Vos sites industriels de Pont-du-Casse (Lot-et-Garonne) et Carbonne (Haute-Garonne) vont également connaître des investissements d’un montant total de 30 M€ : dans quel but ?
Ces investissements industriels sont pensés pour faire face à la croissance. Ces six dernières années, nous avons multiplié par deux notre chiffre d’affaires. Et, puisque nous sommes extrêmement déterminés à faire la même chose dans les cinq prochaines années, nous préparons nos outils industriels. Nous en avons bien besoin au vu de tout ce que nous avons absorbé ces dernières campagnes. Tout cela s’est fait assez vite. Les outils vont nous permettre de nous projeter dans ce plan de développement.
L’usine de Pont-du-Casse, spécialisée dans les anti-limaces, exporte dans 40 pays. L’usine de Carbonne, sur les biostimulants, exporte dans 60 pays.
Comptez-vous sur ces investissements industriels et sur la construction de votre centre de R&D pour atteindre le milliard d’euros de chiffre d’affaires à horizon 2030 ou avez-vous identifié d’autres leviers de croissance ?
Cela ne marchera que si nous réussissons le pari du déploiement. Il y a une équation à multiples composantes. Nous en maîtrisons certaines comme l’offre, le portefeuille et les produits homologués. Nous sommes généralement sur une équation équivalente au niveau du coût. Cependant, il y a d’autres facteurs, comme la résistance au changement. Il faut avoir une très forte conviction et, surtout, que l’ensemble des acteurs donnent un outil clé en main à l’agriculteur qui prend le risque de changer sa chimie vers une biosolution, en lui demandant de changer son programme. Il faut que la proposition de valeur soit sécurisée sur le plan technique. Cela ne marchera que si nous arrivons à mettre autour de la table l’ensemble des partenaires pour avoir un itinéraire robuste. Cela fait partie d’une courbe d’expérience. Nous n’avons jamais réussi cela tout seuls, nous le serons d’autant moins demain, avec une ambition de 100 Mha couverts au niveau mondial.
Cette année, 70 % de notre chiffre d’affaires provient de l’international
Nous venons de construire une nouvelle filiale en Grèce. Nous avons fait des investissements au Canada, au Mexique. Nous avons également investi en Inde, avec deux nouvelles sociétés. Le projet De Sangosse sert beaucoup les intérêts des agriculteurs et des distributeurs français, avec un ancrage territorial, mais aussi une vraie présence mondiale. Cette année, 70 % de notre chiffre d’affaires provient de l’international. Cela nous permet d’avoir un niveau d’expertise technique que nous sommes capables de dupliquer sur tous les territoires. Nous voulons continuer à élargir le périmètre dans tous les grands pays agricoles.
Quelles sont les parts de marché de De Sangosse en France sur les biosolutions, et plus précisément les biocontrôles ?
Sur le biocontrôle, nous avons une part de marché de 23 %. L’objectif est de garder notre part de marché et de multiplier les hectares. Sur les biosolutions, cela reste assez modeste, entre 7 à 8 %. Il y a encore énormément à faire. Si nous parvenons à doubler les surfaces couvertes, nous serons à 15-16 % du marché déployé. Cela semble vraiment réaliste. Nous n’avons pas d’autres pays avec des parts de marché aussi importantes, même si nous avons bien progressé aux États-Unis et en Amérique du Sud.
Des obstacles, notamment réglementaires, se présentent-ils à vous dans le déploiement de vos produits, comme les biosolutions ?
On a pour habitude de se cacher derrière les freins réglementaires, mais, pour nous, ce n’est pas le principal. Évidemment, je serais ravi si on accélérait les agendas d’homologation. Mais notre portefeuille actuel et le réservoir qu’il présente pour la croissance sont déjà suffisants. Nous devons d’abord travailler ces solutions. Il y a plusieurs exemples de retraits de molécules qui mettent les agriculteurs dans un grand désarroi, car ils se retrouvent dans des impasses techniques. [exergue = 6595280]
Tout cela vient aussi d’un manque d’anticipation. C’est ce que pointe le rapport d’Inrae (« Alternatives chimiques et non chimiques existantes à l’usage des néonicotinoïdes », remis à Annie Genevard, ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Souveraineté alimentaire, le 28/10/2025), qui a mis beaucoup de monde en ébullition. Attendre que les molécules soient retirées, ce qui arrivera à beaucoup d’entre elles, c’est prendre le risque de se retrouver, un jour, sans ces molécules et sans préparation.
Le sujet réglementaire est prégnant, mais le principal frein est plutôt la courbe d’expérience agronomique sur des technologies des biosolutions pour apprendre à bien les utiliser.
La SAS De Sangosse, qui possède les participations à 100 % de toutes les filiales du groupe à travers le monde, est majoritairement détenue par ses salariés depuis 1989. Quelle est l’influence de ce mode d’actionnariat sur le développement du groupe ?
Le leitmotiv a toujours été de contrôler le capital pour contrôler la stratégie et maîtriser la stratégie du groupe. Il y a une quinzaine d’années, quand nous avons fait le virage vers les biosolutions, nous avons dû allouer toute la ressource pendant un certain nombre d’années sur la R&D, avec des choix très forts sur le plan stratégique. Le fait d’avoir un capital maîtrisé par les salariés (1 400 dans le monde, 470 en France) a été la clé du succès. Les décisions se prennent au plus près du terrain. Les interlocuteurs de nos clients ont énormément de latitude. Bien sûr, il y a une stratégie, mais aussi beaucoup d’autonomie, car cette double casquette salarié-actionnaire permet d’avoir les bons réflexes. [exergue = 6595281]
Dans un projet comme le nôtre, le pas de temps de la R&D est long, comme celui de l’agriculture. Vous ne pouvez pas avoir un modèle capitalistique avec des injonctions contradictoires tous les deux-trois ans. Ce n’est pas compatible avec ce que nous faisons. L’actionnaire salarié, c’est une philosophie, mais c’est surtout un outil au service d’une stratégie de long terme. Pour des projets comme ceux que nous venons d’annoncer, il faut des actionnaires parfaitement alignés avec les dirigeants de l’entreprise.
Tous les ans, nous réallouons la totalité du résultat sur le développement de la maison. Cela, vous pouvez le faire si, une fois de plus, vous maîtrisez le capital. Si vous avez des actionnaires qui ont d’autres intérêts, cela ne fonctionne pas.