Drosophile Suzuki, une action collective dans les Monts du Lyonnais
Par Stéphanie Ayrault | Le | Résultats scientifiques & techniques
Face aux ravages de la Drosophile Suzuki et au retrait progressif des pesticides, une initiative collective voit le jour dans les Monts du Lyonnais. Chercheurs et producteurs travaillent ensemble pour concevoir des solutions multifilières et durables. Simon Fellous, chercheur à l’Inrae de Montpellier, insiste sur l’importance d’impliquer les agriculteurs, acteurs essentiels de cette innovation, afin de renforcer leur autonomie et de repenser les modèles de production.

La drosophile Suzuki est-elle devenue un problème majeur pour les cultures de petits fruits rouges ?
La drosophile Suzuki, qui s’est propagée en Europe, en Amérique du Nord et ailleurs depuis 2010, pose de sérieux problèmes, notamment sur les cultures de petits fruits rouges : cerises, fraises, framboises, myrtilles. Elle peut également toucher, de façon plus occasionnelle, certaines cultures comme la vigne ou l’abricot. Jusqu’à présent, les dégâts ont été partiellement gérés avec des insecticides. Cependant, nous sommes aujourd’hui dans une dynamique de retrait progressif des autorisations pour de nombreux intrants chimiques de synthèse. Ainsi, les producteurs de cerises ont dû s’adapter au retrait du diméthoate, interdit avant la saison 2016, et du phosmet, retiré avant la saison 2023.
Cela place les producteurs de cerises destinées à la consommation fraîche ou à l’industrie dans une situation très difficile. Ils doivent affronter les ravages causés par cet insecte tout en s’adaptant à des contraintes réglementaires et sociétales qui limitent leurs outils de lutte. Les dégâts économiques sont considérables, bien qu’il soit parfois difficile de les chiffrer précisément. Certains producteurs ont déjà dû fermer leur exploitation, d’autres perdent chaque année des sommes importantes, et beaucoup se retrouvent dans un état de stress intense, rendant leur quotidien parfois insupportable.
Les insecticides n’étaient cependant pas une panacée. Même avec des produits comme le diméthoate ou le phosmet, les pertes étaient importantes, notamment pour les variétés de cerises tardives. L’arrivée de la drosophile Suzuki, au début des années 2010, a changé la donne. À titre d’exemple, après l’installation de cet insecte, nous avons observé une baisse de la production de cerises d’environ un tiers en seulement quelques années.
Les producteurs de cerises sont particulièrement affectés, notamment ceux pour qui cette culture était une activité secondaire, conduite de façon relativement peu technique. Pour eux, gérer la mouche Suzuki est presque impossible. Et même avec des insecticides et une gestion très technique, cela demande une vigilance de chaque instant. Beaucoup de producteurs passent leurs nuits à pulvériser, à sillonner leurs champs avec leur tracteur, sous une pression constante. À cela, s’ajoute une incertitude permanente : ils ne savent souvent qu’au moment de la récolte, voire après l’expédition, si leur production sera commercialisable.
Cette charge mentale et physique est difficilement tenable. Certains producteurs témoignent d’un véritable mal-être. Ils n’aiment pas pulvériser autant, mais se sentent pris au piège. Et même lorsque certains parviennent à maintenir une certaine rentabilité, la situation humaine reste difficilement supportable.

Les dégâts sont-ils équivalents sur toutes les cultures et toutes les variétés ?
Non, il y a des différences importantes. Par exemple, en ce qui concerne les cerises, les variétés précoces sont généralement peu impactées par la drosophile Suzuki, car l’insecte n’a pas encore eu le temps de se multiplier en début de saison. En revanche, pour les variétés tardives, la situation peut devenir catastrophique. Les infestations peuvent atteindre des niveaux très élevés, nécessitant des interventions répétées et intensives.
Dans les cas les plus graves, la pression du ravageur oblige certains producteurs à travailler sans relâche, à passer leurs nuits sur le terrain, dans une sorte de course contre la montre.
Quels moyens de lutte peut-on envisager ?
Il est illusoire de penser qu’on pourra remplacer une molécule par une autre ou un seul levier de biocontrôle.
Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut déployer une stratégie « multi-leviers ». Il est illusoire de penser qu’on pourra remplacer une molécule par une autre ou un seul levier de biocontrôle. La substitution simple n’est pas une solution viable. Je ne connais aucun scientifique qui défendrait cette approche, notamment pour la drosophile Suzuki.
Dans le cadre du programme Parsada, financé par le ministère de l’Agriculture, nous avons identifié plusieurs leviers complémentaires. Cela inclut, par exemple, l’introduction de parasitoïdes pour réguler les populations de Suzuki, la technique de l’insecte stérile, des mesures de prophylaxie, les filets ou encore le piégeage. Mais ces leviers doivent être combinés. Il ne s’agit pas d’appliquer des solutions isolées, mais de concevoir des itinéraires techniques adaptés à chaque situation. Pour cela, il faut repenser les stratégies de production. Ce travail ne peut pas être réalisé uniquement par le monde de la recherche et du développement. Nous, chercheurs, sommes très bons pour développer des alternatives, comprendre leurs mécanismes et leurs limites. Mais lorsqu’il s’agit de concevoir un itinéraire technique économiquement viable et acceptable par les producteurs, ce sont ces derniers qui doivent jouer un rôle central.
Comment cette collaboration avec les producteurs s’organise-t-elle ?
Nous avons mis en place une action collective dans les Monts du Lyonnais en juin 2024, en collaboration avec l’AOPN Cerise de France, le comité stratégique fruits et d’autres acteurs, comme Fraise et Framboise de France ou encore la Chambre d’agriculture. L’objectif est de créer une interface entre les professionnels et la recherche.
Ce travail a vocation à être étendu au niveau national.
Nous voulons que les producteurs deviennent des acteurs clés de l’innovation. Ils doivent pouvoir orienter les types de recherches et d’essais qui leur semblent pertinents. Ils doivent aussi s’approprier les résultats de la recherche pour pouvoir concevoir eux-mêmes, en collaboration avec nous, de nouveaux équipements et itinéraires techniques. Pour cela, nous venons de recruter un ingénieur, qui prendra ses fonctions en janvier 2025. Ce projet, centré sur les Monts du Lyonnais, est également multifilière. Bien que l’accent soit mis sur les cerises, il concerne aussi les fraises et les framboises. Ce travail a vocation à être étendu au niveau national.
La drosophile Suzuki est un ravageur qui passe facilement d’une culture à l’autre. Les solutions mises en œuvre pour une culture peuvent donc bénéficier à d’autres. Par exemple, une méthode développée pour les cerises peut être adaptée pour les fraises ou les framboises.
Ce transfert d’enseignements est essentiel. Il permet de mutualiser les efforts et de construire des solutions qui soient à la fois efficaces et durables, dans une perspective globale.
Au-delà des aspects techniques, que peut apporter cette démarche aux producteurs ?
Les agriculteurs font face à des défis multiples : le changement climatique, les attentes sociétales, les contraintes réglementaires.
Ces actions collectives ne se limitent pas à la mise en œuvre de solutions techniques. Elles ont également un impact social et psychologique important. Aujourd’hui, les agriculteurs font face à des défis multiples : le changement climatique, les attentes sociétales, les contraintes réglementaires. Ces évolutions peuvent leur donner le sentiment de perdre le contrôle de leur métier.
Nous espérons que ce projet pourra non seulement améliorer la gestion de la drosophile Suzuki, mais aussi inspirer d’autres initiatives similaires dans d’autres régions et pour d’autres filières.
Avec cette approche, nous voulons qu’ils redeviennent acteurs de leur propre destin. Bien sûr, ils sont légitimes lorsqu’ils demandent le soutien de l’État, mais ils peuvent aussi, en parallèle, développer leurs propres outils et solutions. Cette démarche leur permet de regagner en autonomie et en pouvoir de décision.
Nous espérons que ce projet pourra non seulement améliorer la gestion de la drosophile Suzuki, mais aussi inspirer d’autres initiatives similaires dans d’autres régions et pour d’autres filières.