Agroécologie

La Métropole de Lille accompagne les agriculteurs dans les crédits carbone


La Métropole de Lille mise sur l’agriculture pour compenser ses émissions de carbone. Dans un territoire où les forêts sont rares, les exploitants agricoles sont invités à stocker du carbone dans leurs sols grâce aux crédits carbone. Mais cette démarche, bien que prometteuse, soulève de nombreux défis techniques et économiques. Mélanie Lotte, chargée de mission développement territorial à la Métropole européenne de Lille, explique à Agro Matin la démarche mise en place.

Mélanie Lotte, chargée de mission développement territorial à la Métropole européenne de Lille - © Métropole européenne de Lille
Mélanie Lotte, chargée de mission développement territorial à la Métropole européenne de Lille - © Métropole européenne de Lille

Pourquoi avez-vous décidé de vous lancer dans les crédits carbone ?

Nous voulions démontrer que le monde agricole peut contribuer à la lutte contre le changement climatique.

La Métropole de Lille s’est engagée dans un Plan Climat ambitieux, avec un objectif de neutralité carbone d’ici à 2050. Cependant, notre région a une contrainte majeure : nous n’avons pas de forêts significatives, qui jouent habituellement un rôle clé dans le stockage de carbone. L’agriculture s’est donc imposée comme un levier essentiel.

Ce choix peut surprendre, car l’agriculture représente moins de 3 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) dans notre territoire. C’est relativement peu comparé au secteur du transport qui est de loin le premier émetteur. Pourtant, 45 % de notre territoire est constitué de surfaces agricoles, tandis que la part d’espaces naturels est très faible. Nous voyons donc l’agriculture comme une solution plutôt qu’un problème, en mobilisant ses capacités à stocker du carbone dans les sols.

L’idée est venue lorsque mes collègues du Plan Climat sont venus me chercher, en disant : « L’agriculture peut vraiment être un levier pour atteindre nos objectifs ». Cette vision était très positive et motivante. Nous voulions démontrer que le monde agricole peut contribuer à la lutte contre le changement climatique, tout en renforçant la résilience des exploitations et en les accompagnant vers une transition agroécologique. C’était aussi une opportunité de trouver des financements pour soutenir ces pratiques, tout en préservant nos ressources.

Comment avez-vous organisé ce projet ?

Nous pensions que la prise en charge du diagnostic suffirait à convaincre, mais cela n’a pas été le cas.

L’objectif était de permettre aux agriculteurs d’intégrer progressivement la démarche des crédits carbone. Mais rapidement, un frein majeur est apparu : le coût du diagnostic initial, qui s’élève à environ 1 500 euros et mobilise une journée complète de travail pour l’exploitant.

Pour lever ce frein, nous avons décidé de travailler avec Ecophyt, dans le cadre d’une expérimentation qui prend en charge ces frais, afin de rendre la démarche plus accessible. En 2024, nous avons lancé le projet avec cinq exploitations, et nous avons réalisé aujourd’hui 13 diagnostics. Nous avons proposé une démarche sans engagement : les agriculteurs pouvaient réaliser un bilan initial (le fameux T0) sans être obligés de poursuivre par la suite. Ce diagnostic leur permettait d’identifier leurs points de départ et les leviers possibles pour améliorer leur stockage de carbone.

Malgré ces efforts, nous avons été très surpris par le faible nombre de participants. Nous pensions que la prise en charge du diagnostic suffirait à convaincre, mais cela n’a pas été le cas.

Quels freins avez-vous rencontrés ?

Nous avons rapidement identifié trois freins principaux.

Le premier est lié à la disponibilité et à la qualité des données nécessaires pour réaliser le diagnostic. Les exploitants doivent fournir des informations précises sur leur exploitation : les rotations de cultures, les consommations d’énergie, l’utilisation des engrais, et bien d’autres données. Cela demande une gestion très rigoureuse et, idéalement, une numérisation préalable. Mais ce n’est pas le cas de toutes les exploitations. Beaucoup d’agriculteurs ont trouvé cette tâche trop lourde, décrivant cela comme une montagne de travail. Certains n’avaient tout simplement pas les outils ou le temps nécessaires pour réunir ces informations.

Le second frein est lié à la taille des exploitations. Nous avons constaté qu’en dessous de 50 hectares, la démarche n’est pas économiquement viable pour l’agriculteur. Ce seuil exclut de nombreuses petites exploitations, qui n’ont pas les moyens de s’engager dans ce type de dispositif.

Le troisième est une réticence des exploitants à s’engager sans être sûrs de vendre leurs crédits carbone à l’issue de la démarche.

Quels types d’exploitations ont participé ?

Pour cette première phase, nous avons travaillé uniquement avec des exploitations en grandes cultures. Cela nous semblait un choix logique pour démarrer. Cependant, ce type d’exploitation offre moins de leviers pour réduire les émissions ou augmenter le stockage de carbone que des exploitations avec un atelier d’élevage. Les marges de manœuvre se limitent principalement à la gestion des engrais, le non-labour, la réduction de la consommation énergétique et la diversification des rotations de cultures et des couverts. Cela réduit le champ des actions possibles, mais elles sont toutes incluses dans les objectifs d’agroécologie et de protection des ressources : sols vivants, rétention de l’eau, baisse des intrants…

Comment fonctionne l’écosystème des crédits carbone ?

Beaucoup de structures interviennent, chacune prenant une part du processus, ce qui complexifie énormément le projet pour les agriculteurs.

En entrant dans ce projet, nous avons découvert un écosystème complexe, avec de nombreux acteurs gravitant autour de chaque étape de la démarche. Par exemple, Ecophyt s’occupe du diagnostic initial, Sysfarm et Farmleap calculent et certifient les émissions de GES et le stockage de carbone, et des opérateurs comme Agoterra commercialisent les crédits carbone.

Nous avons été frappés par la densité de ce système. Beaucoup de structures interviennent, chacune prenant une part du processus, ce qui complexifie énormément le projet pour les agriculteurs. Agoterra, par exemple, propose de « booster la commercialisation » des crédits carbone : ils vont chercher des acheteurs, créent des pages web pour promouvoir les crédits locaux, organisent des visites sur les exploitations, etc.

Mais cette profusion d’acteurs a un coût. L’agriculteur, pourtant au cœur de la démarche, doit souvent payer pour des diagnostics techniques, pour déposer son dossier auprès de la DREAL, et parfois pour les intermédiaires qui se chargent de la communication et de la vente des crédits. Au final, sur un prix moyen de 33 euros la tonne en retour à l’exploitant, coûte en réalité 40 euros à l’acheteur.

Cette situation nous a amenés à réfléchir : quelle place pour une collectivité pour garantir un prix correct à l’exploitant ? Faudrait-il commercialiser nous-mêmes les crédits carbone, plutôt que de passer par ces opérateurs ? Cela semble être une piste intéressante, mais c’est un chantier très lourd. La mécanique est encore jeune et en cours de construction, ce qui rend les choses très floues. Pour l’instant, nous avons préféré laisser cette tâche à des spécialistes, mais cela reste un sujet de débat en interne.

Quels sont les résultats obtenus jusqu’à présent ?

En août 2024, nous avons réalisé les diagnostics de cinq exploitations. Ces premières analyses nous permettent de mieux comprendre les capacités réelles de stockage de carbone des exploitations agricoles et d’identifier les leviers les plus efficaces. Cependant, nous sommes encore en phase d’apprentissage. Nous espérons obtenir davantage de retours lors de la deuxième année du projet. Cela nous aidera à affiner notre approche et à mieux adapter le dispositif aux besoins et contraintes des agriculteurs.

Quel bilan tirez-vous de cette première phase ?

Nous avons sous-estimé les freins liés à la gestion des données, à la taille des exploitations et à la complexité de l’écosystème des crédits carbone.

Cette expérimentation a mis en lumière plusieurs limites du système actuel. Nous avons sous-estimé les freins liés à la gestion des données, à la taille des exploitations et à la complexité de l’écosystème des crédits carbone.

Trop d’intermédiaires se greffent à chaque étape.

De plus, nous sommes critiques sur le fonctionnement global de ce marché. Trop d’intermédiaires se greffent à chaque étape, et nous avons le sentiment que l’agriculteur, pourtant à l’origine des efforts, n’en tire pas assez de bénéfices. Ce système foisonnant manque encore de structure et de transparence.

Cela dit, nous restons convaincus que les crédits carbone peuvent être une solution prometteuse, à condition de mieux encadrer ce marché et de simplifier les démarches pour les agriculteurs. Cette première phase nous a permis d’identifier les axes à améliorer, et nous espérons pouvoir ajuster notre stratégie pour maximiser les impacts positifs, tant pour l’environnement que pour le monde agricole. Dans tous les cas, les leviers mobilisés par les exploitants répondent pleinement aux attentes en matière de protection des ressources en eau, de sols, vivants, de qualité de l’air, de structuration des paysages.

Concepts clés et définitions : #Changement climatique , #Engrais , #Agroécologie