Agrotendances

Un nuage olfactif contre les pucerons vaut à Agriodor un Grand Prix


L’entreprise bretonne Agriodor a reçu le Grand Prix de l’Académie des Technologies pour son produit Insior Gr A, un répulsif olfactif innovant destiné à protéger la betterave sucrière des pucerons vecteurs de jaunisse. Une distinction qui récompense une technologie de biocontrôle prometteuse, déjà soutenue par une dérogation pour la campagne 2025.

Les pucerons sont responsables du jaunissement des bettraves et très sensibles aux odeurs.  - © D.R.
Les pucerons sont responsables du jaunissement des bettraves et très sensibles aux odeurs. - © D.R.

C’est une reconnaissance de taille pour une jeune entreprise française de biotechnologie. Le 23 mai, Agriodor a été récompensée par le Grand Prix de l’Académie des technologies, en partenariat avec l’Académie d’agriculture de France, dans la catégorie « Conception de nouveaux intrants contribuant à la durabilité ». Le trophée a été remis à Ené Leppik, fondatrice et directrice scientifique, pour Insior Gr A, une solution de biocontrôle inédite destinée à repousser les pucerons verts de la betterave sans les tuer.

«  Recevoir ce prix est une immense fierté pour toute l’équipe d’Agriodor. C’est la reconnaissance de notre engagement pour une agriculture plus durable et résiliente  », a salué Alain Thibault, président de l’entreprise. Fondée en 2019 à Rennes, Agriodor est une spin-off de l’Inrae, membre de la French Tech 2030, spécialisée dans la lutte olfactive contre les ravageurs.

Un mode d’action différent et complémentaire

Insior Gr A repose sur l’utilisation d’allomones, des molécules naturellement émises par les plantes qui repoussent d’une autre espèce, ici les insectes. « C’est différent des phéromones, qui régissent la communication entre individus d’une même espèce. Chez Agriodor, nous sommes spécialisés sur les molécules qui régissent la communication entre des espèces différentes : les allomones qui repoussent, et les kairomones qui attirent. », précise Nasthasia Cherotzky, Cheffe Produit chez Agriodor.

Concrètement, le produit se présente sous forme de granulés à épandre dès l’apparition, à la faveur des vents, des pucerons ailés. Une fois dispersés, ces granulés libèrent un « nuage » olfactif, une odeur aromatique de clou de girofle, qui masque l’odeur attractive de la betterave et désoriente les pucerons. Résultat  : moins d’atterrissages, moins de nutrition et donc moins de reproduction.

Ce positionnement préventif est crucial. « La jaunisse virale induite par Myzus persicae provoque un jaunissement des feuilles, une baisse de la photosynthèse, donc du rendement et du taux de sucre », rappelle Nasthasia Cherotzky. À l’inverse des traitements curatifs, Insior Gr A agit dès les stades sensibles de la plante, entre les cotylédons étalés (BBCH 10) et les 8 feuilles (BBCH 18), et limite la recolonisation pendant 28 jours.

Une technologie ciblée et durable

L’avantage majeur d’Insior Gr A réside aussi dans sa sélectivité  : seuls les pucerons sont concernés. Les auxiliaires comme les coccinelles, qui contribuent à la régulation naturelle, ne sont pas affectés. « Sur les parcelles traitées, les populations de pucerons sont limitées, ce qui permet aux coccinelles d’être plus efficaces », note la Cheffe Produit.

Autre atout : l’absence de pression de sélection. « Puisqu’on ne tue pas les pucerons, on ne sélectionne pas des lignées résistantes. On évite l’engrenage qui mène à la perte d’efficacité des molécules chimiques. La nature trouve toujours un moyen », souligne-t-elle.

Comment Insior Gr A a été mis au point ?

Le développement d’Insior Gr A repose sur plusieurs années de recherche fondamentale et appliquée. Tout part d’une intuition  : celle de mimer les signaux olfactifs répulsifs émis par certaines plantes ou insectes pour dissuader les ravageurs.

Les équipes d’Agriodor, issues du laboratoire Inrae de Rennes, ont d’abord identifié des molécules naturellement présentes dans l’environnement des pucerons. Les chercheurs ont testé en laboratoire de nombreux composés organiques volatils pour évaluer leur impact sur le comportement des pucerons verts de la betterave (Myzus persicae).

Les plus efficaces ont été combinés en un « bouquet » d’allomones. Cette formulation, encapsulée sous forme de granulés, a ensuite été évaluée sur le terrain, en collaboration avec l’Institut technique de la betterave (ITB). “A chaque fois que l’on a identifié une molécule et travaillé le mélange, nos équipes l’ont testée sur les insectes et aux champs pour évaluer leur efficacité sur l’appétit et la reproduction”, confirme Nasthasia Cherotzky, Cheffe Produit chez Agriodor.

Le résultat  : un produit d’origine naturelle, conçue pour une application mécanisée qui facilite son épandage en plein champ et compatible avec les équipements agricoles standards, respectueux des cultures, de l’environnement et de la biodiversité. Une nouvelle génération d’outils de gestion des ravageurs est née.

Déjà autorisé à titre dérogatoire pour la campagne 2025 (du 1er avril au 30 juillet), Insior Gr A s’annonce comme une solution de biocontrôle à fort potentiel dans un contexte de restrictions croissantes sur les phytosanitaires. Une innovation qui illustre une nouvelle voie  : celle d’une agriculture guidée non par la destruction, mais par la compréhension fine du langage des insectes.