Agroécologie

Seul un scénario de rupture peut contenir la hausse des surfaces irriguées, selon France Stratégie

Par Stéphanie Ayrault | Le | Politique agroécologique

La gestion de l’eau agricole en 2050 devra concilier adaptation au changement climatique et optimisation des ressources. Si les retenues de substitution n’offriraient qu’un impact modéré à l’échelle nationale, l’agroécologie et la relocalisation des productions s’imposent comme des solutions clés pour réduire les prélèvements d’eau, selon le rapport de France Stratégie publié le 20 janvier 2025. L’agriculture devrait toutefois devenir le premier préleveur d’eau d’ici 2050, passant devant l’énergie.

Hélène Arambourou, adjointe au directeur du développement durable et numérique à France Stratégie  - © France Stratégie
Hélène Arambourou, adjointe au directeur du développement durable et numérique à France Stratégie - © France Stratégie

L’agriculture deviendrait, en 2050, le premier préleveur d’eau devant le secteur de l’énergie, selon le rapport « Quelle évolution de la demande en eau d’ici 2050 ? » publié par France Stratégie le 20 janvier 2025. Actuellement, l’énergie représente 45 % des 30 800 millions de m³ de prélèvements d’eau annuels, contre 13 % pour l’agriculture (11 % des prélèvements pour l’irrigation en 2020 et 2 % pour l’élevage). Ce travail, commandé à l’automne 2023 par Élisabeth Borne, alors Première ministre, dans le cadre du Plan eau, étudie, dans 40 bassins versants, entre 2020 et 2050, les évolutions théoriques des prélèvements en eau et des consommations associées, c’est-à-dire la part des prélèvements évaporée, selon trois scénarios prospectifs :

  • « Tendanciel », qui prolonge les tendances passées
  • « Politiques publiques », qui simule la mise en place de politiques publiques récemment annoncées
  • « De rupture », qui se caractérise par un usage sobre de l’eau

« L’agroécologie permet une meilleure infiltration et un meilleur stockage d’eau dans les sols »

Le scénario de rupture prévoit une croissance contenue des surfaces équipées en irrigation à + 12 %

Tous les scénarios envisagent une hausse de la demande en eau d’irrigation entre 2020 et 2050, mais à des degrés différents. Elle pourrait atteindre :

  • 162 % dans le scénario tendanciel, passant de 3 500 Mm³ à 9 200 Mm³ ;
  • 108 % dans le scénario « politiques publiques », passant à 7 300 Mm³ ;
  • 42 % dans le scénario de rupture, passant à 5 000 Mm³.

« Seul le scénario de rupture qui, à la différence des autres scénarios, prévoit une croissance contenue des surfaces équipées en irrigation (+12 % entre 2020 et 2050, passant de 2,8 Mha à 3,1 Mha, contre 4,2 Mha dans les autres scénarios) et un développement de l’agroécologie sur la totalité des surfaces (contre 50 % dans le scénario « politiques publiques »), se caractérise par une croissance limitée de la demande en eau d’irrigation. L’agroécologie permet une meilleure infiltration et un meilleur stockage d’eau dans les sols et diminue la demande en eau d’irrigation », indique Hélène Arambourou, adjointe au directeur du département développement durable et numérique à France Stratégie.

En parallèle, les prélèvements diminuent pour l’énergie du fait de la modernisation des circuits de refroidissement des centrales nucléaires ainsi que de la fermeture des centrales nucléaires les plus âgées.

Des retenues de substitution en associant des changements de pratiques

« Même en construisant beaucoup de retenues, l’effet serait relativement limité. »

Le rôle des retenues de substitution pour réduire les prélèvements entre les mois de mai et de septembre apparaît modéré. Dans le scénario « politiques publiques », en 2050, à l’échelle de la France métropolitaine, ces retenues permettent de réduire les prélèvements de 2 %, selon le rapport. Dans le bassin versant de la Charente, plus de trente retenues sont construites, permettant d’atteindre un volume de stockage total de plus de 10 Mm³. « On constate alors que la réduction des prélèvements par rapport à un scénario sans retenues, en périodes printanière et estivale, n’est que de 6 % », indique le rapport.

« Même en construisant beaucoup de retenues, l’effet serait relativement limité. En revanche, ces retenues peuvent être efficaces localement, si on les accompagne d’un changement de pratiques des irrigants, et si on relocalise certaines activités », déclare Hélène Arambourou.

Le Sud-Ouest, particulièrement touché

Les analyses divergent selon les régions. Le scénario tendanciel entre 2020 et 2050 montre une augmentation de plus de 50 % des prélèvements dans la moitié ouest, liée à l’augmentation de l’irrigation, et une diminution dans la vallée du Rhône et en Alsace, liée au refroidissement des centrales. Dans le scénario de rupture, il y a une diminution dans la majorité des bassins versants.

« Sur le bassin de l’Adour, certes, nous aurons des surfaces globales de maïs qui vont diminuer, mais, dans le scénario tendanciel, on va davantage irriguer le maïs pour compenser la baisse de pluviométrie au printemps et du fait des évolutions climatiques », explique Hélène Arambourou.

Focus sur le bassin de l’Adour (source : France Stratégie, scénario le plus défavorable) - © France Stratégie
Focus sur le bassin de l’Adour (source : France Stratégie, scénario le plus défavorable) - © France Stratégie

Élaborer des stratégies locales

« Il est nécessaire maintenant de confronter cette demande à la ressource qui serait potentiellement disponible pour pouvoir élaborer des stratégies locales d’adaptation pour se mettre d’accord sur la répartition de la ressource, en prenant en compte les besoins des milieux aquatiques », poursuit-elle.

Les trois scénarios agricoles

Scénario tendanciel

  • L’agriculture française conserve d’ici 2050 un solde exportateur positif, ce qui implique des rendements élevés.
  • Afin d’accroître l’autonomie protéique des animaux d’élevage, les surfaces en soja croissent, avec une multiplication par plus de deux entre 2020 et 2050, dans la continuité des tendances observées après le lancement du plan protéines végétales pour la France 2014-2020.
  • Entre 2020 et 2050, les surfaces de pommes de terre (+81 % passant de 205 000 ha à 371 000 ha) et de betteraves à sucre (+19 % passant de 419 000 ha à 496 000 ha) continuent d’augmenter dans le nord de la France pour répondre à la demande extérieure.
  • Les surfaces de maïs grain poursuivent leur diminution (-11 % passant de 1,5 Mha à 1,3 Mha).
  • Les cheptels de bovins (-10 % passant de 17 millions d’individus à 16 millions d’individus), ovins et caprins (-15 % passant de 7 millions d’individus à 6 millions d’individus) et de porcs (-4 % passant de 13 millions d’individus à 12 millions d’individus) poursuivent leur baisse.

Scénario politique publique

  • Pour répondre aux objectifs de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), l’alimentation des Français se végétalise.
  • Ainsi, l’ensemble du cheptel diminue. Corollairement, les surfaces destinées à la production de protéines végétales pour l’alimentation humaine croissent : elles sont multipliées par plus de cinq entre 2020 et 2050.
  • De plus, grâce au renforcement du plan protéines végétales, l’autonomie protéique des élevages s’accroît. Aussi, les surfaces en soja et en protéagineux sont multipliées par plus de deux entre 2020 et 2050.
  • Les pratiques agroécologiques, contribuant à accroître la rétention d’eau dans les sols, se développent sur 50 % des surfaces agricoles grâce à des soutiens ciblés. Le développement d’outils de pilotage de l’irrigation (sondes tensiométriques, logiciels de suivi, etc.) est soutenu par les pouvoirs publics.
  • Le soutien aux projets de retenues de substitution se traduit par une multiplication par 14, entre 2020 et 2050, du volume stocké à l’échelle nationale, portant le volume total de substitution à plus de 220 Mm³ en 2050. Ces retenues permettent de décaler une partie des prélèvements en hiver pour satisfaire la demande en irrigation de la période printanière et estivale.
  • La réutilisation des eaux usées traitées de stations d’épuration pour l’irrigation se développe dans les bassins versants côtiers du sud de la France.
  • Les surfaces équipées en irrigation continuent de croître à un rythme élevé (+50 % entre 2020 et 2050).

Scénario de rupture

  • Les régimes alimentaires sont profondément modifiés avec une réduction de la consommation de viande de 50 % par rapport à la consommation actuelle.
  • Cela se traduit par une diminution substantielle entre 2020 et 2050 de l’ensemble du cheptel ainsi que par une réduction des surfaces dédiées à l’alimentation animale, notamment des prairies (-11 % pour les prairies temporaires, passant de 1,5 Mha à 1,3 Mha) et des cultures fourragères (-58 %, passant de 2,3 Mha à moins de 1 Mha), et une augmentation des surfaces dédiées aux protéines végétales (multiplication par plus de cinq).
  • La recherche de souveraineté alimentaire conduit au développement des surfaces en légumes frais (multiplication par plus de deux), en arboriculture (doublement) et en protéagineux pour l’alimentation animale (multiplication par plus de trois).
  • Hormis les retenues actées ou en cours de construction, aucune retenue de substitution supplémentaire ne voit le jour.
  • Les pratiques agroécologiques se développent sur la totalité des surfaces agricoles. Des espèces et des variétés plus robustes à la sécheresse sont sélectionnées.
  • Le développement des surfaces équipées en irrigation est contenu (+12 % entre 2020 et 2050)