Engrais russes : « La capacité exportatrice de l’Europe en céréales est en jeu », Y. Merieau, Fertiline
Par Stéphanie Ayrault | Le | Nutrition & fertilisation
Augmenter les tarifs douaniers sur les engrais russes et biélorusses de 6,5 % actuellement à 100 % en trois ans : tel est l’objet de la proposition adoptée par la Commission européenne le 28 janvier 2025. Cette augmentation vise deux objectifs : réduire la dépendance européenne à l’égard de ces importations, en forte hausse depuis deux ans et représentant aujourd’hui 25 % de la consommation totale d’engrais au sein de l’UE, et limiter les recettes des exportations russes. Yohan Merieau, directeur de fertiline, filiale d’InVivo, réagit à cette proposition pour Agro Matin et alerte sur les risques de disponibilités et de hausse des prix des engrais.

Que pensez-vous de la proposition de la Commission européenne ?
La souveraineté européenne en matière d’engrais azotés est, par nature, impossible.
Derrière cette proposition, nous observons des conflits d’intérêts majeurs. Pour la France, et plus largement pour l’Europe, il y a une réalité incontournable : nous n’avons pas de gaz, qui constitue la matière première essentielle à la production des engrais azotés. Cela signifie que la souveraineté européenne en matière d’engrais azotés est, par nature, impossible. Nous ne disposons pas des ressources minières nécessaires pour garantir l’approvisionnement en azote des agriculteurs français.
Cela oblige l’Europe à recourir à des solutions d’importation : du gaz, transformé par les industriels européens, de l’ammoniac, qui est une étape intermédiaire entre le gaz et les engrais azotés, ou encore des engrais azotés directement. Historiquement, l’industrie européenne des engrais a pleinement profité du gaz russe, qui était bon marché. Ce gaz fournissait un avantage compétitif significatif. Cependant, avec la fin des approvisionnements en gaz russe et la fermeture des gazoducs, ce modèle économique a été profondément bouleversé. La compétitivité des producteurs européens d’engrais a fortement décliné à cause de l’augmentation du prix de l’énergie.
Aujourd’hui, la Commission européenne propose d’ajouter de nouvelles taxes pour compenser, entre autres, les handicaps structurels de compétitivité de l’industrie européenne des engrais. Pourtant, il existe déjà une taxe douanière de 6,5 % et des taxes antidumping pour certains produits.
Quelles seront les conséquences de cette proposition ?
Le problème est que ce sont les agriculteurs qui vont en payer le prix.
La part des engrais russes dans le marché européen reste stable, autour de 15 à 20 %. Mais cette proposition pourrait entraîner un problème de disponibilité des engrais et, mécaniquement, une hausse des prix, spécifiquement en Europe. Si l’objectif est de préserver les intérêts de certains producteurs européens, pourquoi pas. Mais le problème est que ce sont les agriculteurs qui vont en payer le prix.
Cela représente un impact de 2 à 5 euros par tonne de blé.
Ce qui est en jeu ici, c’est finalement la capacité exportatrice de l’Europe en céréales. En augmentant le coût des engrais, on alourdit mécaniquement les coûts de production pour les agriculteurs. Cela représente un impact de 2 à 5 euros par tonne de blé, ce qui constitue une réelle menace pour la balance commerciale de la France et de l’Europe dans le domaine des céréales. Pendant ce temps, ailleurs dans le monde, les engrais restent bon marché. L’agriculteur européen devra donc affronter la concurrence de ses homologues étrangers, qui bénéficieront de coûts de production bien plus bas.
Quelles sont les solutions selon vous ?
Face à des contextes géopolitiques instables, nous devons disposer de toutes les options.
Il faut trouver un juste équilibre. On ne peut pas se contenter d’ajouter des taxes à des taxes. Il est nécessaire de lever les taxes douanières et antidumping sur les importations provenant d’autres régions du monde (Etats-Unis, Afrique, Moyen-Orient) pour permettre aux agriculteurs d’accéder à des engrais compétitifs, tout en maintenant des règles économiques équilibrées en Europe.
Une solution pourrait être de diluer la part de marché des engrais russes en facilitant l’accès à d’autres origines sur les marchés français et européens. Face à des contextes géopolitiques instables, nous devons disposer de toutes les options : acheter du gaz ou de l’ammoniac pour le transformer en engrais en Europe, et importer des engrais directement des pays riches en ressources naturelles. Cette diversification est indispensable pour garantir la résilience et la compétitivité de nos agriculteurs. À plus long terme, nous devons, en Europe, investir dans la production d’engrais azotés bas carbone synthétisés à partir d’électricité pour réellement parler de souveraineté, c’est l’ambition d’Invivo à travers le projet FertigHy.