« Il n’y a que l’innovation qui peut répondre aux défis des agriculteurs »
Sylvain Bedel, directeur général de Corteva Agriscience France, détaille la stratégie d’innovation du groupe : produits conventionnels à faible empreinte environnementale, biosolutions issues des portefeuilles Symborg et Stoller, nouvelles semences obtenues grâce aux NGT et collaborations pour créer de la valeur et de nouveaux débouchés.
Comment Corteva structure son innovation pour répondre aux défis actuels de l’agriculture ?
Corteva est un pure player agricole, leader mondial de l’innovation. Le groupe consacre 1,5 milliard de dollars par an à la R&D afin de soutenir une agriculture plus performante et plus durable. Les agriculteurs affrontent des défis climatiques, économiques, réglementaires et sociétaux, avec des exigences accrues en matière de qualité et de réduction d’impact. Seule l’innovation permet de répondre simultanément aux impératifs de compétitivité, de durabilité et de rentabilité des exploitations.
En France, Corteva rassemble 1 500 collaborateurs directs et indirects, avec trois sites de production - deux en Alsace pour la protection des cultures et un à Toulouse pour les semences - ainsi que le CSAT (Center for Seed Applied Technologies) à Aussonne, dédié aux traitements de semences. Huit centres R&D orientent l’ensemble des innovations en protection des cultures et en semences.
Vous évoquez trois grands axes d’innovation : protection des cultures, biosolutions et semences. Que faut-il en retenir ?
Sur la protection conventionnelle, Corteva poursuit une ambition claire : réduire l’empreinte environnementale sans compromis sur l’efficacité ni la durabilité pour l’agriculteur. Parmi les innovations emblématiques, Rinskor en betterave illustre cette approche : premier herbicide anti-dicotylédones nouvelle génération permettant de traiter à moins d’1 g de matière active / ha et par passage, déjà commercialisé dans l’UE et potentiellement disponible en France d’ici un an. Il permettra de substituer une ancienne molécule qui s’utilise à une dose 300 fois plus élevée, démontrant parfaitement la notion d’innovation durable chez Corteva.
En vigne, l’anti-mildiou Zorvec Vinabel, qui vient tout juste d’être homologué, s’impose déjà comme une référence d’efficacité pendant la période critique de la floraison grâce à une formulation optimisée associant deux matières actives complémentaires, une absence de résistance croisée, une excellente résistance au lessivage dès 20 minutes après application et une persistance d’action de 14 jours.
Enfin, Inatreq, première molécule T2 contre la septoriose du blé, d’origine naturelle, issue d’une fermentation bactérienne, fait l’objet d’une demande d’extension d’homologation sur betterave (cercosporiose), colza et orge.
Le pipeline protection des cultures intégrera également trois à quatre nouvelles molécules insecticides dans les dix ans, notamment contre les lépidoptères et les piqueurs-suceurs.
Sur les biosolutions, Corteva propose déjà Qalcova, produit de biocontrôle issu d’une fermentation bactérienne, et prépare plusieurs solutions pour la période 2030-2035, dont un bio-insecticide. L’acquisition de Stoller et Symborg structure un portefeuille riche en biosolutions, dont des biostimulants visant à renforcer l’efficience nutritionnelle et la tolérance au stress des plantes. Des solutions comme BlueN/UtrishaN en sont les premières illustrations, tandis que de futures innovations mobiliseront les mycorhizes.
Concernant les semences, Corteva se positionne « à la pointe » des NGT notamment grâce à l’héritage DuPont/Danisco et aux travaux engagés dès 2007 autour de CRISPR-Cas9 mais aussi aux travaux de Pioneer qui célèbrera son centenaire en 2026 ! Ces technologies permettront par exemple de développer : un maïs de plus faible hauteur, résistant à la verse et d’autres moins exigeant en eau ; des maïs capables de résister à plusieurs maladies, ce qui réduit le recours aux fongicides. Les NGT accélèrent le progrès génétique et répondent plus rapidement à la multiplication des défis, sans ajouter d’ADN étranger.
Sur les NGT, Corteva multiplie également les collaborations afin de créer des débouchés et de la valeur. Nous travaillons avec l’Inrae sur un soja qui fleurit trois semaines plus tôt, adapté à une plus vaste zone géographique de culture en France pour réduire la dépendance protéique. En s’appuyant sur nos expériences partenariales aux États-Unis, nous pourrions ouvrir la voie en France à la production de semences de tournesol, à conduire en dérobé, pour alimenter l’aviation en carburants plus durables (SAF).
Comment Corteva intègre-t-elle les cadres réglementaires européen et français pour accélérer l’arrivée de ses innovations ?
Le groupe mondial anticipe les exigences réglementaires en intégrant les dossiers d’homologation européens dès la phase de Discovery, ce qui maximise les chances d’aboutir. L’homologation des produits requiert en général trois ans, mais la durée d’évaluation peut atteindre sept ans, comparable à celle d’une Annexe 1 (l’approbation d’une substance active). Vinabel en est une illustration. En France, les firmes phytopharmaceutiques ne disposent pas de la possibilité de compléter leur dossier pendant l’instruction, et la reconnaissance mutuelle reste très limitée. Conséquence : Vinabel est commercialisé depuis cinq ans en Italie, mais pas encore en France. L’écart avec le reste du monde reste significatif : 55 mois suffisent ailleurs pour homologuer à la fois la substance active et le produit, alors que la même durée permet uniquement d’obtenir l’homologation de la substance active en Europe. Ces délais constituent un enjeu majeur pour permettre aux innovations d’arriver plus vite dans les cours de ferme. Les évolutions récentes témoignent d’une prise de conscience, notamment avec le paquet Omnibus au niveau européen. Toute avancée qui vise à raccourcir les procédures et à généraliser la reconnaissance mutuelle constitue un progrès tangible, dans le sens de l’innovation et de son accès rapide aux agriculteurs.