Carbone, le secteur agricole va devoir redoubler d’efforts pour compenser la baisse de capacité des puits de stockage
Pour répondre à l’ambition fixée par le plan européen Fit for 55, en cours d’intégration à la Stratégie nationale bas carbone, l’effort à fournir par le secteur agricole, pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre, pourrait être multiplié selon un facteur trois. C’est ce qui ressort du cinquième rapport annuel du Haut conseil pour le climat, diffusé le 28 juin. Ses auteurs insistent notamment sur le manque d’ambition climatique des politiques publiques mais aussi l’insuffisance de l’accompagnement des agriculteurs.

« Nous avons dépassé la politique des petits pas, mais nous ne sommes pas encore au pas de course ; il est grand temps d’acter l’urgence », pose Corinne Le Quéré, présidente du Haut conseil pour le climat. Elle s’exprimait en amont de la publication du cinquième rapport annuel de l’organisation, le 28 juin dans la soirée. Bien qu’ayant déjà réduit de 25 % ses émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2022, la France doit intensifier son effort pour atteindre l’objectif fixé par la feuille de route Fit for 55 : réduire de 55 % les émissions par rapport à 1990. Cette ambition est en cours d’intégration dans la future troisième mouture de la Stratégie nationale bas carbone, dont la version actuelle porte un objectif, moins ambitieux, d’une réduction des émissions de 40 % en 2030. (1) « Les rythmes de baisse des émissions sont insuffisants et doivent quasiment doubler pour atteindre cet objectif », souligne Corine Le Quéré.
Effort agricole à multiplier par 1,25 à 3,5
Le partage du travail à fournir entre l’ensemble des secteurs doit encore être déterminé par le Gouvernement. Le HCC a pour sa part élaboré deux scénarios : le premier prolonge la répartition de la SNBC 2, le second répartit l’effort de façon égale entre les secteurs non couverts par le système d’échange de quotas d’émission. Un choix qui aura « une incidence majeure pour tous les secteurs », et notamment pour l’agriculture, souligne Corinne Le Quéré. En effet, l’effort à fournir par le secteur agricole sera multiplié par 1,25, dans le cas de la première option, ou par 3,5 dans la seconde (2).
Compenser la baisse d’absorption des puits de carbone
Le Haut conseil pour le climat prévient néanmoins que dans tous les cas, le secteur agricole devra intensifier ses réductions d’émissions, pour compenser une baisse de la capacité de stockage des puits de carbone. En effet, les absorptions de gaz à effet de serre par ces derniers ont déjà fortement diminué pour être quasiment deux fois inférieures à celles attendues dans la SNBC 2, rappelle le HCC.« Les émissions résiduelles de la France en 2050 proviendront majoritairement du secteur de l’agriculture, indique le rapport. La baisse déjà constatée des puits de carbone du secteur UTCATF (3) implique donc des efforts supplémentaires pour le secteur agricole, par exemple via une augmentation du stockage de carbone dans les sols. »
Un accompagnement pas assez structuré
Si le rapport note que des initiatives voient le jour pour accélérer l’innovation ou optimiser les leviers techniques dans le secteur agricole, ses auteurs regrettent le manque « d’accompagnement global des agriculteurs dans la transition, ce qui rend ces mesures peu structurantes ». Ainsi, les différents plans d’investissement mis en place dans le cadre de France 2030 découleraient davantage, de la part de l’État, d’une recherche de « gains de productivité et d’efficience », plutôt que de préoccupations climatiques.
Neuf recommandations, quatre idées fortes
Pour permettre au secteur agricole d’amplifier son effort, le Haut conseil pour le climat formule neuf recommandations, regroupées autour de quatre idées fortes :
- réviser en 2024 le Plan stratégique national de la Pac 2023-2027 à la hauteur des nouveaux objectifs européens Fit for 55 ;
- axer la loi d’orientation de l’avenir de l’agriculture vers la transformation agroécologique, bas carbone et la résilience aux changements climatiques ;
- mettre en œuvre un cadre d’action national et régional favorable ;
- mette la politique alimentaire en cohérence.
(1) Les émissions à éviter chaque année, entre 2023 et 2030, passent donc de 12 à 17 MteqCO2.
(2) Baisse de 1,3 Mt éqCO2 par an ou 3,7 MteqCO2 par an, comparé à 1,1 Mt éqCO2 par an sur la période 2019-2021.
(3) Utilisation des terres, changement d’affectation des terres et foresterie.
Des baisses d’émissions structurelles
Si les émissions agricoles sont, en 2022, en phase avec la trajectoire définie par la Stratégie nationale bas carbone, le rapport du Haut conseil pour le climat insiste sur plusieurs effets conjoncturels. En ce qui concerne l’élevage, dont les émissions ont baissé (-0,9 Mt éqCO2/an, pour 2019-21), le document explique le phénomène par « la diminution du cheptel bovin provoquée par les conditions socio-économiques difficiles du secteur », qui n’est donc pas le résultat d’une stratégie concertée. Pour les cultures, c’est l’augmentation du prix des engrais azotés minéraux qui est cité pour expliquer les émissions en recul (-0,4 Mt éqCO2/an pour 2019-21). Là encore, le rapport rappelle que ces chiffres ne découlent pas d’une évolution structurelle des pratiques. La surface cultivée en protéagineux (dont le soja) a néanmoins, pour sa part, augmenté sur la période 2015-2021 (+0,03 Mha/an).